Alias Caracalla
Je suis né le 10 août 1920, à Bordeaux, dans une
famille de négociants : les Gauthier, par ma mère, et
les Bouyjou, par mon père.
De mon grand-père bonapartiste, je reçus le culte
de Napoléon ; de ma grand-mère américaine, la tentation d’une anarchie esthétique ; de mon père, la
tolérance et les voluptés de la musique classique ; de
ma mère, les sortilèges de l’élégance.
Ma mère divorça lorsque j’avais quatre ans et se
remaria avec Charles Cordier. C’était le fils d’un professeur de philosophie, Augustin Cordier, fondateur
du Nouvelliste de Bordeaux , journal antirépublicain et
monarchiste. Mon beau-père, que j’admirais, m’enseigna la passion des automobiles et de la politique. Il
m’inculqua également son fanatisme antisémite et
maurrassien.
Lorsque j’eus huit ans, mon père, voulant m’arracher à l’influence de l’homme qui lui volait son fils,
obtint, après des années de procédure, mon « internement » à Saint-Elme, collège de dominicains sur
les bords du bassin d’Arcachon. Le tribunal avait
octroyé à ma mère un droit de visite au parloir de
deux heures tous les quinze jours. Parcourant l’Europepour ses affaires, mon père, qui avait le loisir de me
faire sortir le dimanche, ne venait jamais. Je ne le
voyais qu’aux vacances, partagées, par moitié, avec
ma mère.
Je demeurai interne dix ans, durant lesquels je
subis une formation strictement catholique, marquée
par la crainte de Dieu — maître de mon corps, de
mon âme, et surtout de mon éternité. Cette période
de censure puritaine fut consacrée au combat désespéré contre le mal, qui s’incarnait à cette époque
dans un plaisir consolateur. J’avoue qu’il était plus
attrayant, par sa brièveté même, que l’idéal de perfection que les bons pères s’efforçaient de m’inculquer.
L’éclatement de ma famille imprégna mon enfance
d’une nostalgie de l’amour perdu. C’est pourquoi, au
cours de mon internat, la séquestration du cœur et
du sexe provoqua des amitiés sauvages, pour lesquelles ma solitude imposait de transformer l’aimé en
esclave. Les mirages de l’amour jalonnèrent mon
existence d’ivresses et de larmes, dont il résulta des
études chaotiques, aggravées d’expulsions répétées.
Ce méli-mélo d’aventure, d’égarement amoureux et
de panique métaphysique forma mon caractère. Il
provoqua également réflexions, lectures et discussions
de nature contradictoire. Elles s’accompagnèrent de
tourments religieux, d’enthousiasmes esthétiques et
d’engagements politiques provoqués par des événements imprévus, constituant la trame de ma vie.
En 1937, après mon expulsion du dernier de mes
collèges, j’abandonnai toute pratique religieuse. Tandis que je mettais entre parenthèses mes croyances,
je me grisais du panthéisme de Gide et des blasphèmes de Baudelaire. À quinze ans, Les Nourritures
terrestres devinrent l’évangile de ma liberté.
M’éloignant de la religion, je m’intéressai à la politique, du moins à l’activisme effréné que je désignais
ainsi. Mes convictions s’ancraient dans des conversations familiales intermittentes, celles avec mon
beau-père avant tout. Il s’appuyait sur les écrits de
son père, qu’il admirait. Il avait rassemblé nombre
de ses articles dans des cahiers qu’il me lisait de
temps à autre. Ses aphorismes constituèrent peu à
peu le fondement de ce que je n’ose appeler une
doctrine. Le postulat en était : « Pour que la France
vive, il faut que la République meure ! »
Indiscutable et facile à retenir.
Un autre précepte m’avait d’autant plus frappé que
sa répétition le transformait en évidence : « Oui,
j’appelle de tous mes vœux un coup d’État, c’est-à-dire
un coup de patriotisme et de justice, qui nous débarrasse de la vermine juive et parlementaire et permette
aux Français, aux vrais Français, de reprendre leur
place à la tête du pays, pour que la France reprenne
sa place à la tête des nations. »
Ce bric-à-brac composé d’anecdotes et de jugements catégoriques fut le socle de mes convictions.
Aujourd’hui encore, je me souviens, sans risque
d’erreur, de quelques-uns des thèmes et arguments
que la répétition avait transformés en « vérité ».
La haine de la République était justifiée par la nocivité des droits de l’homme, source de l’individualisme
corrupteur. Selon Maurras,
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