Apocalypse
Steiner ne quittaient pas des yeux la scène, conscients de leur impuissance. Ils suivaient, comme hypnotisés, les deux protagonistes telles des marionnettes sans fil. Soudain, l’un des adjoints prononça un mot qu’il répéta plusieurs fois. Le visage de son supérieur se rembrunit aussitôt.
— Le fils de pute… Il est en train de lui réclamer un supplément en nature pour la payer. Il profite de la situation, l’enculé.
De longues secondes s’écoulèrent. Le trafiquant, le visage moite, revint vers le bureau et sortit de son tiroir une enveloppe épaisse qu’il fit tournoyer devant son peignoir entrebâillé. Melieva hésita un instant puis se leva avec lenteur.
— Sababa , c’est bon, murmura Steiner. Cette fois, on y va.
Il donna un ordre rapide dans un micro et montra à Marcas l’écran sur la droite. Une camionnette aux couleurs de la poste israélienne venait de s’arrêter devant la porte d’entrée. Un facteur en descendit et sonna. La porte s’ouvrit et le postier montra au gardien un bordereau à signer. Avant même qu’il réagisse, des hommes en civil surgirent des deux côtés de la rue. L’un d’entre eux le plaqua au sol tandis que les autres se ruaient à l’intérieur. L’écran se connecta sur la caméra à l’intérieur des couloirs. L’un des hommes de Deparovitch tenta de sortir une arme, mais fut aussitôt maîtrisé.
Antoine ne pouvait détacher son regard des deux écrans. Jamais il n’avait assisté à une opération filmée en direct. Sur l’écran de gauche, le trafiquant se leva brusquement et tenta de refermer son peignoir, mais la jeune femme blonde le saisit et le plaqua sur le bureau.
Steiner sourit et se tourna vers le commissaire.
— Et voilà. Totach : on l’a eu !
Antoine ne sut que répondre tant la scène qu’il avait vue se dérouler sous ses yeux lui paraissait irréelle. C’était comme s’il avait regardé une série télé américaine. Les personnages qui s’agitaient sous ses yeux paraissaient totalement désincarnés. Il était presque déçu.
— Et maintenant ?
— Deparovitch va être emmené chez un juge qui lui signifiera sa mise en examen, comme on dit en France. Ses bureaux seront passés au peigne fin ainsi que ses trois entrepôts. Nous allons avertir les Russes pour qu’ils puissent remonter la filière. Il est cuit.
Antoine continuait à fixer l’écran. La caméra avait zoomé sur le visage de Deparovitch dévoré d’un rictus de haine. Le mal à l’état pur.
Steiner saisit un dossier qu’un adjoint venait de poser sur le bureau et prit Marcas par l’épaule.
— Venez, on va fêter ça !
24
Le Castel Vieux
Rouen
7 mars 1430
Le Castel Vieux de l’évêque Cauchon était un château aux murailles épaisses et aux douves profondes. Un repaire de pierre sombre, bâti sur une colline d’où s’élevait la lourde masse du donjon dont l’ombre, l’hiver, s’abattait comme un coup d’épée sur les alentours. Dans la cour d’honneur où donnaient les écuries, s’ouvrait la lourde porte du logis au bois massif bardé de têtes de clous. C’est là que se dirigeaient les pas de l’évêque.
Précédé d’un valet qui portait un flambeau, il monta l’escalier à vis qui menait aux appartements. Entre les murs suintant d’humidité, le souffle des respirations se condensait en de petits nuages blêmes que l’ombre dévorait aussitôt. L’hiver venait de prendre fin selon le calendrier, mais ni la terre ni le ciel ne semblaient en avoir eu vent. Les ténèbres étaient glacées, les champs craquaient sous le givre tandis que les loups hurlaient à la mort dans les campagnes.
La porte des appartements privés s’ouvrit et une bouffée de chaleur gagna le palier. L’évêque entra dans la grande salle où se tenaient les domestiques alignés. D’un geste, Mgr Cauchon les renvoya à leurs offices et se dirigea vers la cheminée où un tronc de chêne flambait dans un déluge d’étincelles. Sur les murs, de longues tapisseries au dessin naïf contaient les mérites et les hauts gestes des évêques de Rouen. On y voyait des prélats au regard éthéré laver les pieds des pauvres, de saints chanoines braver la mort pour écouter la confession de lépreux, des prêtres bottés et casqués combattre l’Infidèle, une épée rouge de sang à la main.
L’évêque Cauchon, lui, avait d’autres préoccupations.
— Le chevalier est-il arrivé ?
— Pas encore,
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