Au bord de la rivière T4 - Constant
arriver la fin de cette chasse un peu ridicule.
— Attends donc, toi ! s’exclama Bernadette. On va ouvrir la fenêtre et je te garantis qu’elles vont sortir par là.
La jeune femme ouvrit les deux battants de la fenêtre et s’avança bravement, armée de son balai.
— Bouge pas, Ernest. Elles m’ont fait tellement peur, c’est moi qui m’en occupe, ajouta-t-elle, menaçante.
Elle assena un violent coup de balai dans l’encoignure où se tenaient les chauves-souris. Immédiatement, deux d’entre elles se mirent à voleter à travers la pièce, mais la troisième, frappée de plein fouet, tomba sur l’épaule de la fille de Marie Beauchemin, ce qui lui fit faire un saut de carpe accompagné d’un cri strident. Par contre, les deux autres découvrirent la fenêtre ouverte et fuirent avant qu’on parvienne à les frapper de nouveau.
— Ma foi du bon Dieu, veux-tu bien me dire ce que t’as à crier comme un cochon qu’on égorge ? fit sa mère en entrant dans le salon.
— Elle est tombée sur moi, répondit sa fille en lui montrant le cadavre de la petite bête à ses pieds.
— Puis après, t’es pas morte ! fit Marie. Ernest, ramasse-la et jette-la dehors, ordonna-t-elle à l’employé.
Le jeune homme obéit et jeta le cadavre de la chauve-souris par la fenêtre avant de la refermer. Au moment de retourner à son travail, la maîtresse de maison scruta la pièce et repéra immédiatement une tache de sang au plafond.
— Tu peux retourner travailler avec Donat, dit-elle à Ernest. Toi, Bedette, tu vas me nettoyer cette tache-là, ordonna-t-elle à sa fille.
Sur ce, elle retourna dans la cuisine d’été surchauffée par le poêle à bois qu’il avait fallu allumer pour faire cuire les confitures de fraises.
— Les confitures sont prêtes, annonça-t-elle à sa bru en demeurant derrière la porte moustiquaire. Viens t’occuper de la paraffine pendant que j’ébouillante les pots.
— On pourrait bien attendre après le souper, madame Beauchemin, fit Eugénie d’une voix languissante.
— On va se débarrasser de ça tout de suite, répliqua sèchement sa belle-mère. Après le souper, je veux m’occuper des plates-bandes.
Eugénie se leva péniblement, la silhouette arrondie par l’enfant qu’elle portait, et elle entra dans la maison sans enthousiasme.
Le train en provenance de Montréal ralentit, puis vint s’immobiliser près du quai de la gare dans un nuage de vapeur. Le chef de gare, un drapeau à la main, sortit précipitamment du petit bâtiment rouge. Il esquissa à peine une grimace en entendant le grincement strident des roues torturées par les freins.
Le bruit réveilla la petite fille d’un an et demi endormie dans les bras de sa mère. Catherine adressa un sourire plein de tendresse à sa fille qu’elle serra encore plus fortement contre elle pour la rassurer pendant que Xavier se levait pour prendre leur valise déposée dans le filet, au-dessus de leur tête.
Catherine leva les yeux pour regarder amoureusement celui qu’elle avait épousé trois jours auparavant.
Le fils de Baptiste Beauchemin était un jeune homme athlétique mesurant plus de six pieds et d’une force peu commune. Son visage à la mâchoire énergique était surmonté par une chevelure noire bouclée. Elle l’aimait autant pour sa douceur que pour son courage et sa générosité. Il l’avait épousée elle, la fille-mère à la réputation perdue, insensible à la désapprobation des habitants de Saint-Bernard-Abbé. Plus encore, en ce dernier jour de leur trop court voyage de noces à Montréal, il avait poussé la bonté jusqu’à lui faire la surprise d’adopter Constance, l’enfant à laquelle elle avait donné naissance avant de le rencontrer. Restait à savoir maintenant comment les gens allaient réagir en les voyant revenir de leur voyage de noces chargés d’un enfant.
Quand elle avait fait part de son inquiétude à Xavier quelques minutes plus tôt, celui-ci s’était contenté de lui répondre :
— Ça regarde pas personne. Constance, c’est notre fille, et il y a rien à redire là-dessus.
La grande jeune femme mince au chignon blond, un peu rassérénée, l’avait remercié d’un sourire plein de reconnaissance.
Le couple et l’enfant descendirent sur le quai en bois. Ils étaient les seuls voyageurs à quitter le train. Ce dernier reprit lentement de la vitesse et s’éloigna en laissant derrière lui un panache de
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