Au Coeur Du Troisième Reich
domestiques, tout cela ne pouvait que contrecarrer la réalisation de ce souhait. Aujourd’hui encore je ressens tout ce que ce monde avait d’artificiel et comme il me mettait mal à l’aise. En outre, je souffrais de vertiges fréquents et il m’arrivait parfois de m’évanouir. Le professeur de Heidelberg appelé en consultation constata une déficience du système nerveux vaso-moteur. Cette insuffisance physique constitua un lourd handicap psychique et me fit sentir, jeune encore, tout le poids de l’existence. J’en souffrais d’autant plus que mes compagnons de jeu et mes deux frères étaient plus robustes que moi et que je me sentais inférieur à eux. Leur malice les poussait d’ailleurs à me le rappeler souvent.
Une insuffisance appelle souvent une réaction. En tout cas ces difficultés m’enseignèrent à faire preuve de souplesse dans mes contacts avec le monde de l’adolescence. Si je sus plus tard montrer une habileté opiniâtre quand je fus aux prises avec des situations contraires et des hommes difficiles, je le dois pour une part non négligeable à cette faiblesse physique de mon enfance.
Lorsque notre gouvernante française nous emmenait en promenade, nous devions, pour répondre à notre situation sociale, être habillés de façon irréprochable. Naturellement, il ne nous était pas permis de jouer dans les parcs municipaux et encore moins dans la rue. Aussi notre cour constituait-elle notre unique terrain de jeu, guère plus grand que quelques-unes de nos pièces réunies, entouré et rétréci qu’il était par les façades arrière d’immeubles locatifs hauts de plusieurs étages. On y trouvait deux ou trois platanes qui, manquant d’air, dépérissaient, un mur recouvert de lierre, des pierres de tuf dans un coin, simulant une grotte. Une épaisse couche de suie recouvrait dès le printemps arbres et feuilles et tout ce que nous saisissions nous transformait en enfants de la grande ville, sales et peu élégants. Avant d’aller à l’école j’eus comme compagne de jeu préférée la fille de notre concierge, Frieda Allmendinger. J’aimais à rester chez elle, dans le sombre et modeste appartement de l’entresol. L’atmosphère qui régnait dans cette famille étroitement unie et qui se contentait de peu exerçait sur moi un attrait singulier.
Je reçus mon premier enseignement dans une école privée, très distinguée, où l’on apprenait à lire et à écrire aux enfants des familles de notables de notre ville industrielle. Couvé comme je l’avais été, je trouvai les premiers mois passés au lycée, au milieu de condisciples exubérants, particulièrement durs à supporter. Pourtant mon ami Quenzer m’apprit très vite à faire tout un tas de bêtises et il me poussa même à acheter un ballon de football sur mon argent de poche. Cet encanaillement subit suscita à la maison un effroi considérable, d’autant plus que Quenzer venait d’un milieu nécessiteux. C’est à cette époque-là que s’est fait jour ma propension à saisir statistiquement des situations de fait : j’inscrivais tous les blâmes portés sur le cahier de classe dans mon agenda « phénix » pour écoliers et comptais chaque mois qui en avait reçu le plus. J’aurais très rapidement cessé ce jeu si je n’avais pas eu quelque chance d’être parfois à la tête de ce classement.
Le bureau d’architecte de mon père était contigu à notre appartement. C’est là qu’on traçait les plans pour les clients. On y faisait des dessins de toutes sortes sur une espèce de papier calque bleuté dont l’odeur, aujourd’hui encore, reste attachée aux souvenirs que j’ai de ce bureau. Les édifices construits par mon père, ignorant l’épisode du Jugendstil, trahissaient l’influence du style néo-Renaissance. Plus tard, il prit pour modèle l’architecte et urbaniste berlinois Ludwig Hoffmann, représentant alors très influent d’un classicisme plus calme.
C’est dans ce bureau qu’aux alentours de ma douzième année, ma première « œuvre d’art » vit le jour. C’était le dessin d’une espèce d’horloge de vie avec une boîte très tarabiscotée que devaient soutenir des colonnes corinthiennes et des volutes baroques. J’utilisai pour cela toutes les encres de Chine sur lesquelles je pus mettre la main. Avec l’aide des employés du bureau, je créai une œuvre où l’on pouvait facilement reconnaître les tendances du style Second Empire.
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