Au Coeur Du Troisième Reich
d’une voiture découverte pour l’été, mes parents possédaient, avant 1914, une berline qu’on utilisait l’hiver en ville. Ces automobiles étaient le centre de mes enthousiasmes techniques. Au début de la guerre, on dut, pour économiser les pneus, les mettre sur cales. Mais en nous conciliant les bonnes grâces du chauffeur, nous avions l’autorisation de nous mettre au volant dans le garage. J’éprouvai alors pour la première fois la griserie de la technique dans un monde qu’elle avait encore peu transformé. Beaucoup plus tard, à la prison de Spandau, lorsque je vécus pendant vingt ans comme un homme du XIX e siècle, sans radio, sans télévision, sans téléphone, sans auto, que même l’utilisation d’un interrupteur électrique m’était interdite, je ressentis à nouveau le même bonheur quand j’eus l’autorisation d’utiliser pour la première fois après des années une cireuse électrique.
En 1915, je découvris une autre invention de la révolution technique de ces années-là. Près de Mannheim était stationné un des zeppelins qui participaient aux attaques aériennes contre Londres. Le commandant et ses officiers fréquentèrent bientôt notre maison de façon assidue. Ils nous invitèrent, mes deux frères et moi-même, à visiter leur vaisseau aérien. Jeune garçon de dix ans, je me trouvai face à face avec ce géant de la technique, grimpai dans la nacelle du moteur, traversai l’intérieur de la carène pour rejoindre la nacelle de commandement.Quand, dans la soirée, le dirigeable s’envolait, le commandant lui faisait faire une belle boucle au-dessus de notre maison et les officiers agitaient, dans la nacelle, un drap que leur avait prêté ma mère. Chaque nuit je tremblais d’effroi, à la pensée que le dirigeable pouvait prendre feu et mes amis mourir ainsi 2 .
Mon imagination était pleine de la guerre, des succès et des revers au front, des souffrances des soldats. La nuit, on entendait parfois le grondement sourd de la bataille de Verdun. La compassion qui enflammait mon âme d’enfant me poussait souvent à dormir sur le sol à côté de mon lit douillet parce que, sur cette couche plus dure, il me semblait que j’avais moi aussi ma part des privations qu’enduraient les soldats du front.
La pénurie alimentaire des grandes villes et « l’hiver du rutabaga » ne nous épargnèrent pas. Nous possédions tout l’argent que nous voulions, mais nous n’avions ni parents ni connaissances à la campagne, mieux pourvue. Certes ma mère s’entendait à imaginer mille variations sur le rutabaga, mais j’avais souvent si faim que, dans mon appétit, je dévorais des gâteaux pour chien, durs comme de la pierre. J’en terminai ainsi peu à peu un plein sac restant d’avant la guerre Les attaques aériennes sur Mannheim, inoffensives à l’échelle actuelle, se firent plus nombreuses. Une petite bombe atteignit une des maisons voisines. Un nouveau chapitre de ma jeunesse allait commencer.
Nous possédions depuis 1905, aux environs de Heidelberg, une villégiature d’été, bâtie sur les pentes recouvertes de gazon d’une carrière qu’on disait avoir servi à l’édification du château de Heidelberg tout proche. Derrière notre terrain se dessinaient les crêtes du massif de l’Odenwald, des chemins de promenades couraient le long des pentes et traversaient les forêts où, de temps en temps, des laies permettaient au regard d’embrasser la vallée du Neckar. On trouvait là le calme, un beau jardin, des légumes et même une vache chez le voisin. Nous y emménageâmes à l’été de 1918.
Ma santé s’améliora rapidement. Chaque jour, par tous les temps, par la neige, la pluie ou le vent, je devais couvrir un long chemin jusqu’à l’école, marchant pendant plus de trois quarts d’heure. Souvent, je faisais la dernière partie au pas de course. A cette époque-là, il n’y avait pas de bicyclettes car, sur le plan économique, l’après-guerre fut une époque difficile.
Le chemin de l’école longeait le club d’une société d’aviron. J’en devins membre en 1919 et je fus pendant deux ans le barreur du quatre et du huit de compétition. Malgré ma constitution encore chétive, je devins bientôt l’un des rameurs les plus assidus. A seize ans, je devins le leader du quatre et du huit scolaires et pris part à quelques compétitions. Pour la première fois, je sus ce qu’était l’ambition. Elle me poussa à
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