Au Coeur Du Troisième Reich
autorité, car on devait par la suite découvrir qu’aucun budget n’était prévu pour ce ministère de la Propagande qui venait d’être créé, ni, à plus forte raison, pour son aménagement. Je m’efforçai de rester modeste dans mes projets, pour respecter l’architecture intérieure de Schinkel. Pourtant Goebbels trouva que l’ameublement ne faisait pas assez impression. Quelques mois après, il chargeait les « Ateliers réunis » de Munich de meubler les pièces en style « paquebot. »
Hanke avait réussi à s’assurer au ministère un poste très important, celui de « secrétaire du ministre ». Il régnait sur son antichambre avec une habileté consommée. C’est chez lui que je vis, ces jours-là, le projet que la ville de Berlin avait conçu pour la manifestation de masse, prévue pour la nuit du 1 er mai, sur l’esplanade de Tempelhof. Ce projet heurta violemment mes sentiments de révolutionnaire et d’architecte. « On dirait une décoration pour un concours de tir », dis-je à Hanke, qui me répondit : « Si vous pouvez faire mieux, mettez-vous au travail. »
Dans la nuit même mon projet fut prêt : une grande tribune se détachait sur un fond formé par trois énormes drapeaux plus hauts qu’une maison de six étages et tendus sur des hampes de bois. Les deux drapeaux extérieurs étaient noir-blanc-rouge, celui du milieu portait la croix gammée. Ce projet était risqué, car, en cas de vent violent, ces drapeaux allaient se comporter comme des voiles. De puissants projecteurs devaient les illuminer pour renforcer l’impression de mise en évidence d’un point central. Le projet fut immédiatement accepté et je venais de franchir une nouvelle étape.
Plein de fierté, je montrai mon œuvre à Tessenow. Mais avec son solide bon sens artisanal, il me dit : « Croyez-vous que vous avez fait là œuvre durable ? Cela fait impression, c’est tout. » En revanche, Hitler, à ce que me rapporta Hanke, avait été enthousiasmé par cette réalisation. Toutefois, c’est Goebbels, toujours selon Hanke, qui s’en était attribué le mérite.
Quelques semaines plus tard, Goebbels emménagea dans l’appartement de fonction du ministre du Ravitaillement. Pour en prendre possession, il dut quelque peu user de violence. Car Hugenberg exigeait que cet appartement lui fût réservé à lui, le ministre du Ravitaillement et chef du parti national allemand. Mais la querelle fut vite réglée puisque Hugenberg quitta le cabinet dès le 26 juin.
C’est moi qu’on chargea de remettre en état l’appartement ministériel, auquel je devais également ajouter un grand salon. Avec quelque légèreté, je promis à Goebbels qu’il pourrait emménager dans les deux mois. Hitler dit qu’il ne croyait pas que je pourrais tenir ce délai, et Goebbels, pour me stimuler, me le rapporta. Aussi fis-je travailler trois équipes nuit et jour, après avoir calculé dans le détail la succession des différents travaux. Les derniers jours, je mis en service tout un système de séchage et finalement l’installation était entièrement terminée à la date promise.
Eberhard Hanfstaengl, le directeur de la Galerie nationale de Berlin, m’avait prêté quelques aquarelles de Nolde, dont je voulais décorer l’appartement de Goebbels. Goebbels et sa femme acceptèrent l’initiative d’enthousiasme. Mais lorsque Hitler vint visiter les lieux, il critiqua vivement les tableaux. Alors le ministre me fit venir aussitôt pour me dire : « Ces tableaux doivent disparaître sur-le-champ, ce n’est pas de la peinture ! »
Dans les premiers mois qui suivirent la prise du pouvoir, quelques tendances de la peinture moderne, stigmatisées en 1937 comme étant dégénérées, avaient encore une chance de s’imposer. En effet Hans Weidemann, vieux militant de Essen, porteur de l’insigne d’or du parti, dirigeait, au ministère de la Propagande, le département des arts plastiques. Ignorant l’incident provoqué par les aquarelles de Nolde, il rassembla, pour Goebbels, de nombreux tableaux de la tendance Nolde-Munch et les recommanda au ministre comme l’expression d’un art national et révolutionnaire. Goebbels, sachant à quoi s’en tenir, renvoya immédiatement ces tableaux compromettants. Devant le refus de Weidemann de se faire le complice de cette condamnation sans nuance de l’art moderne, on le condamna à exercer une fonction subalterne au ministère. Ce mélange de puissance
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