Au Coeur Du Troisième Reich
bonne part de calcul et de propagande.
Je l’avais déjà accompagné certainement vingt ou trente fois, lorsqu’un jour, pendant une visite d’inspection, il me proposa : « Vous viendrez bien déjeuner aujourd’hui ? » Naturellement ce geste me fit d’autant plus plaisir que je ne l’en eusse pas cru capable, vu sa froideur habituelle.
J’avais souvent fréquenté des chantiers. Jamais il ne m’était rien arrivé, mais ce jour-là précisément, en passant sous un échafaudage, je reçus sur mon costume une truellée de plâtre. Je devais avoir l’air malheureux, car Hitler me dit : « Venez donc, nous allons arranger cela. »
Dans son appartement les invités attendaient déjà. Parmi eux, Goebbels, assez étonné de me voir là. Hitler m’emmena dans ses pièces privées et ordonna à son domestique d’aller chercher sa veste bleu marine : « Tenez, mettez cela en attendant », dit-il. C’est ainsi que je fis mon entrée dans la salle à manger derrière Hitler et eus le privilège d’être assis à ses côtés. Manifestement je lui plaisais. Goebbels découvrit une chose qui, dans monénervement, m’avait totalement échappé. « Mais, vous avez l’insigne du Führer 4 . Ce n’est donc pas votre veste ? me demanda-t-il. – Bien sûr que non, puisque c’est la mienne », répondit Hitler avant moi.
Au cours du repas Hitler me posa, pour la première fois, des questions d’ordre personnel. C’est à ce moment-là seulement qu’il apprit que c’était moi qui avais fait les décorations du 1 er mai. « Tiens, et Nuremberg, c’est vous aussi ? J’avais reçu un architecte avec des plans… mais bien sûr, c’était vous ! Je n’aurais jamais cru que vous finiriez dans les délais les travaux pour Goebbels. » Il ne me demanda pas si j’étais membre du parti. Il me semble d’ailleurs que, pour les artistes, cela lui était égal. En revanche, il voulut connaître le plus de détails possible sur mes origines, ma carrière d’architecte, les réalisations de mon père et de mon grand-père.
Des années plus tard, Hitler reparla de cette invitation : « Je vous avais remarqué au cours des visites d’inspection. Je cherchais un architecte à qui je puisse confier mes projets. Il devait être jeune. Car, comme vous le savez, ces projets sont des projets qui voient loin. J’ai besoin de quelqu’un qui pourra continuer mon œuvre après ma mort avec l’autorité que je lui aurai conférée. Cet homme-là, ce sera vous. »
Après des années de vains efforts et à vingt-huit ans, j’étais impatient d’agir. Pour pouvoir construire quelque chose de grand, j’aurais, comme Fausse, vendu mon âme. Je venais de trouver mon Méphisto. Il n’avait pas moins de séduction que celui de Goethe.
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41 . N. S. K. K. = Nationalsozialistisches Kraftfahrerkorps (corps motorisé du parti national-socialiste, N. D. T.). Voir l’organisation du parti dans l’annexe figurant en fin d’ouvrage.
42 . Les Allemands désignent ainsi la période qui suivit la guerre de 1870-1871, marquée en Allemagne par un essor économique sans précédent. (N. D. T.)
4.
Mon catalyseur
De nature, j’étais un travailleur assidu, mais j’avais toujours eu besoin d’impulsions extérieures pour faire éclore en moi de nouvelles capacités et de nouvelles forces. Je venais de trouver mon catalyseur. Je n’aurais pas pu en rencontrer un dont l’action fût plus forte et plus puissante. Mon énergie fut sollicitée à un rythme sans cesse croissant et avec des exigences toujours accrues.
J’en renonçai au seul centre d’intérêt véritable de ma vie, à la famille. Attiré et enflammé par Hitler, qui me tenait sous son emprise, j’étais possédé par le travail. Hitler s’entendait à obtenir de ses collaborateurs qu’ils fassent des efforts toujours plus grands. L’homme, disait-il, grandit à la mesure de ses idéaux.
Au cours des vingt années passées à la prison de Spandau, je me suis souvent demandé ce que j’aurais fait si j’avais su quel était le vrai visage de Hitler et la nature véritable de la domination qu’il exerçait. La réponse à cette question était à la fois banale et déprimante. Ma place d’architecte de Hitler m’était presque immédiatement devenue indispensable. N’ayant même pas trente ans, j’avais devant moi les perspectives les plus excitantes dont aurait pu rêver un architecte.
En outre, la rage avec laquelle je me
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