Au Coeur Du Troisième Reich
et de docilité ne laissa pas de m’inquiéter. Angoissante aussi était cette autorité absolue que Hitler exerçait, même dans les questions de goût, sur ses collaborateurs, fussent-ils les plus proches et les plus anciens. Goebbels avait montré dans quelle dépendance totale il était vis-à-vis de Hitler, et il en allait de même pour nous tous. Même moi, si familier des choses de l’art moderne, j’avais accepté sans protester le verdict de Hitler.
A peine avais-je terminé chez Goebbels, qu’on me téléphonait, au mois de juillet 1933, de Nuremberg. On y préparait le premier congrès du parti, désormais parti gouvernemental. Par leur architecture, les décors devaient exprimer cette nouvelle puissance du parti victorieux. Or l’architecte local n’avait pu présenter aucun projet satisfaisant. Un avion vint me chercher et m’amena à Nuremberg. Les esquisses que je fis manquaient totalement d’imagination et reprenaient tout simplement la mise en scène du 1 er mai. Je remplaçai seulement les drapeaux par un aigle géant de plus de trente mètres d’envergure, fixé, tel un papillon de collection, sur plusieurs hampes de bois alignées.
Le directeur de l’organisation de Nuremberg, n’osant pas prendre lui-même de décision, m’envoya à la direction centrale de Munich, tout en émettant un avis défavorable, car, en dehors de Berlin, j’étais encore totalement inconnu. On parut, à la « Maison brune », accorder une importance exceptionnelle à cette architecture ou plutôt à cette décoration de gala. Au bout de quelques minutes, mon carton à dessins à la main, je fus introduit dans une pièce au mobilier luxueux : j’étais devant Hess qui, sans me laisser parler, déclara : « Pour ça, seul le Führer lui-même peut prendre une décision. » Puis, ayant donné un bref coup de téléphone, il m’annonça : « Le Führer est chez lui, je vais vous y faire conduire. » Pour la première fois, je venais d’avoir la révélation du pouvoir magique du mot architecture dans le régime hitlérien.
Nous nous arrêtâmes devant un immeuble de plusieurs étages, à proximité du théâtre du Prince-Régent. Après avoir monté deux étages, j’entrai dans un vestibule empli de souvenirs ou de cadeaux de pacotille. L’ameublement, lui aussi, était de mauvais goût. Un aide de camp parut, ouvrit une porte et sans cérémonie me pria d’entrer. J’étais devant Hitler, le tout-puissant chancelier du Reich. Sur la table, devant lui, il y avait un pistolet démonté qu’il était manifestement occupé à nettoyer. « Posez vos dessins là-dessus », dit-il brièvement. Sans me regarder, il écarta les pièces du pistolet et contempla mon projet avec intérêt mais sans mot dire. « D’accord », rien de plus. Le voyant retourner à son pistolet, je quittai la pièce, quelque peu déconcerté.
A Nuremberg, la stupéfaction fut grande lorsque je fis état de l’accord donné par Hitler en personne. Si les organisateurs locaux avaient su l’attirance qu’exerçait une esquisse sur Hitler, ils auraient certainement envoyé à Munich une grande délégation où j’aurais, dans le meilleur des cas, occupé le dernier rang. Mais à cette époque-là, tout le monde ne connaissait pas encore la passion favorite de Hitler.
A l’automne 1933, Hitler chargea son architecte munichois, Paul Ludwig Troost, celui qui avait conçu l’aménagement du transatlantique Europa , et la transformation de la Maison brune, de revoir à fond l’installation et le mobilier de la résidence du chancelier du Reich à Berlin. Les travaux devaient être terminés leplus rapidement possible. Le chef de chantier de Troost venait de Munich et ignorait donc tout des habitudes des entreprises de construction berlinoises. Hitler se souvint alors qu’un jeune architecte avait, à sa grande surprise, terminé chez Goebbels des travaux dans des délais très courts. Il décida donc que j’aiderais le chef de chantier munichois à choisir les entreprises, que je mettrais ma connaissance de la corporation berlinoise à sa disposition et que je devrais intervenir chaque fois que ce serait nécessaire, pour que ces travaux soient terminés le plus rapidement possible.
Cette collaboration débuta par l’inspection méticuleuse de la résidence du chancelier à laquelle nous nous livrâmes, Hitler, son chef de chantier et moi-même. Six ans plus tard, au printemps 1939, il écrivit un article
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