Au Coeur Du Troisième Reich
j’avais appris qu’en s’opposant résolument à Hitler on pouvait s’imposer et réaliser des projets difficiles.
Toutefois ces expériences firent simplement naître en moi des doutes sur ce système de pouvoir dont les principes me paraissaient pour la première fois contestables. J’étais surtout révolté par la conduite des dirigeants : ils continuaient à refuser de s’imposer à eux-mêmes les sacrifices qu’ils demandaient au peuple, ils en usaient sans aucun scrupule avec les êtres et les valeurs, ils s’adonnaient à leurs viles intrigues et montraient par là leur corruption morale. Il est possible que tout cela ait contribué à me détacher lentement du régime ; je commençais, timidement encore, à rompre avec ma vie passée, mes tâches, mes engagements, et avec l’inconscience qui avait été à l’origine de tout cela.
24.
Triple défaite
Le 8 mai 1944, je revins à Berlin pour reprendre mon travail. Je me souviendrai toujours de la date du 12 mai, quatre jours plus tard. Car ce jour-là décida de l’issue de la guerre technique 1 . J’avais réussi jusqu’alors à produire à peu près autant d’armes que les besoins de la Wehrmacht l’exigeaient et ce malgré des pertes considérables. L’attaque de jour des 935 bombardiers de la 8 e flotte aérienne américaine sur plusieurs usines de carburant au centre et à l’est de l’Allemagne marqua le début d’une nouvelle époque dans la guerre aérienne : elle signifiait la fin de l’armement allemand.
Avec les spécialistes des usines Leuna bombardées, nous nous frayâmes le lendemain un chemin à travers l’enchevêtrement des canalisations arrachées et tordues. Les usines chimiques s’étaient révélées particulièrement vulnérables aux bombes ; les prévisions les plus favorables ne permettaient pas d’envisager une reprise de la production avant des semaines. Notre production journalière était tombée de 5 850 à 4 820 tonnes après ce bombardement. Nos réserves de carburant pour l’aviation qui atteignaient 574 000 tonnes, ce qui correspondait tout juste à trois mois de production, purent toutefois compenser ce déficit dans la production pour dix-neuf mois.
Après m’être fait une idée des conséquences du bombardement, je pris l’avion le 19 mai 1944 pour l’Obersalzberg où Hitler me reçut en présence de Keitel. Je lui annonçai la catastrophe imminente : « L’ennemi nous a attaqués à l’un de nos points les plus faibles. Au train où vont les choses, nous ne disposerons bientôt plus de production de carburant digne de ce nom. Notre seul espoir est que, de l’autre côté, l’aviation ennemie ait un état-major qui conçoive les opérations avec aussi peu de cohérence que le nôtre ! » Keitel par contre, toujours soucieux de plaire à Hitler, déclara en minimisant la situation qu’il était en mesure de surmonter les difficultés avec ses réserves, avant de conclure avec l’argument standard de Hitler : « Combien de situations critiques n’avons-nous pas déjà surmontées ! » puis, tourné vers Hitler, il ajouta : « Nous surmonterons celle-ci aussi, mon Führer ! »
Hitler ne semblait pourtant pas partager l’optimisme de Keitel : outre Göring, Keitel et Milch, les industriels Krauch, Pleiger, Butefisch et R. Fischer, ainsi que le directeur de l’Office de la planification et des matières premières, Kehrl, devaient venir participer à une autre conférence sur fa situation 2 . Göring tenta d’éviter que les représentants de l’industrie des carburants ne soient convoqués. Nous devions, déclara-t-il, rester entre nous pour débattre de sujets d’une telle importance. Mais Hitler avait déjà déterminé quels seraient les participants.
Quatre jours plus tard, dans la cage d’escalier si peu accueillante du Berghof, nous attendions Hitler, qui était en conférence dans le grand salon. Alors que j’avais prié auparavant les représentants de l’industrie des carburants de dire à Hitler la vérité toute nue, Göring employa les dernières minutes précédant la séance à faire pression sur eux pour qu’ils ne se montrent pas trop pessimistes. Sans doute craignait-il que les reproches de Hitler ne se tournent essentiellement contre lui.
Des officiers supérieurs qui venaient de participer à la réunion précédente passèrent en hâte devant nous ; immédiatement après, nous fûmes priés de passer chez Hitler par un
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