Au Coeur Du Troisième Reich
venir d’une « levée en masse 54 ». Goebbels devint agressif lorsque je m’opposai et déclarai qu’une telle mobilisation atteindrait les derniers programmes à un point tel que cela équivaudrait à un effondrement total de secteurs entiers de notre production 9 . Goebbels me regarda éberlué. Puis, d’une voix solennelle, il s’écria, tourné vers Hitler : « Alors c’est vous, monsieur Speer, qui porterez la responsabilité historique d’une défaite qui sera due à ce qu’il nous aura manqué quelques centaines de milliers de soldats ! Pourquoi ne dites-vous pas enfin " oui " ? Réfléchissez ! Par votre faute ! » Nous restâmes sans faire un geste, indécis, irrités, pétrifiés – alors Hitler se décida en faveur de Goebbels, pour la victoire.
A cet entretien succéda une conférence sur les problèmes de l’armement à laquelle purent prendre part, en qualité d’invités de Hitler, Goebbels et son secrétaire d’État Naumann. Comme il en avait pris l’habitude depuis longtemps, Hitler m’ignora au cours de la discussion, ne me demanda pas mon avis, mais s’adressa uniquement à Saur. Je jouais plutôt le rôle d’un auditeur muet. Goebbels me déclara à la fin de la réunion qu’il avait été frappé de voir avec quelle absence d’intérêt je me laissais supplanter par Saur. Mais il ne s’agissait plus que de bavardages sans intérêt. La guerre s’était terminée avec l’offensive des Ardennes. Ce qui suivit ne fut que l’invasion du pays différée par une résistance désordonnée et impuissante.
Je n’étais pas le seul à éviter les accrochages. Au sein du quartier général, une indifférence s’était généralisée, qu’il était impossible d’expliquer uniquement par la léthargie, le surmenage et l’influence psychique exercée par Hitler. Un calme qui exprimait le manque d’intérêt et qui anticipait sur la fin de la guerre avait remplacé les heurts violents, les tensions qui, les années et les mois précédents, avaient opposé les nombreux intérêts antagonistes, les groupes, les cliques qui avaient lutté pour la détention du pouvoir, pour acquérir la bienveillance de Hitler et s’étaient rejeté la responsabilité des défaites. Lorsque Saur réussit par exemple à remplacer Himmler au poste de « directeur de l’armement de l’armée de terre » par le général Buhle 10 , cette mesure, qui constituait une dépossession partielle de Himmler, passa à peu près inaperçue. Il n’y avaitplus d’atmosphère de travail au sens véritable du terme ; les événements ne causaient plus aucune impression, la conscience de la fin irrésistible couvrait tout de son ombre.
Le voyage que je venais d’effectuer au front montrait qu’il n’était plus possible de gouverner à partir de la capitale. La situation chaotique dans son ensemble rendait de plus en plus compliquée une direction centralisée de l’organisation de l’armement, mais elle en soulignait également l’absence de signification.
Le 12 janvier, la grande offensive soviétique prévue par Guderian se déclencha à l’est ; notre ligne de défense fut rompue sur un large front. Même les quelque 2 000 blindés modernes allemands qui étaient immobilisés à l’ouest n’auraient pas été en mesure de faire pièce à la supériorité des troupes soviétiques.
Quelques jours plus tard, nous attendions le début de la conférence d’état-major dans la « salle des ambassadeurs » de la Chancellerie, une pièce tendue de gobelins contiguë au bureau de Hitler. Lorsque Guderian, qui s’était attardé auprès de l’ambassadeur japonais Oshima, arriva, un serviteur revêtu de l’uniforme noir et blanc des SS ouvrit la porte du cabinet de travail de Hitler. Marchant sur le tapis épais, tissé à la main, nous nous dirigeâmes vers la table des cartes près des fenêtres. Le plateau de cette table, taillé d’une seule pièce, dans un marbre rouge clair veiné de blanc et de rose, venait d’Autriche. Nous nous plaçâmes du côté de la fenêtre, et Hitler s’assit en face de nous.
L’armée allemande de Courlande était irrémédiablement coupée de ses arrières. Guderian tenta de convaincre Hitler d’abandonner cette position et de faire transporter cette armée de l’autre côté de la Baltique. Hitler refusa comme il le faisait toujours lorsqu’il s’agissait de donner son accord à une retraite. Guderian ne céda pas, Hitler
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