Au Coeur Du Troisième Reich
j’occupai un petit cantonnement dans un pavillon de chasse situé près de Bonn. Pendant mon voyage vers l’ouest, j’avais vu les gares de triage à l’est du Rhin encombrées par des trains de marchandise. Des bombardements avaient immobilisé dans ces gares le matériel de renfort.
Le quartier général de Model était situé au fond d’une vallée boisée de l’Eifel, c’était le pavillon de chasse spacieux d’un industriel fortuné. Tout comme l’état-major de l’armée de terre, Model avait renoncé aux constructions du type bunker, car il ne voulait pas attirer l’attention des avions de reconnaissance ennemis sur cet emplacement. Model était de bonne humeur, car la surprise avait réussi et le front était rompu ; ses troupes étaient en train de progresser rapidement. Nous bénéficions d’un temps favorable, exactement le temps qu’avait souhaité Hitler avant l’offensive : « Il nous faut du mauvais temps, sinon l’opération ne pourra pas réussir. »
Voulant être témoin de cette bataille, j’essayai de parvenir le plus près possible du front. Les troupes qui progressaient étaient de bonne humeur, car des couches de nuages bas empêchaient toute activité aérienne. En revanche, dès le deuxième jour, le chaos s’était instauré dans les communications, les camions n’avançaient plus que mètre par mètre sur cette route à trois voies. Pour faire trois ou quatre kilomètres, il fallait en moyenne une heure à ma voiture coincée entre des camions de munitions. Je craignais que le temps ne se lève.
Model expliquait cette pagaïe par diverses raisons : le manque de discipline dans les unités nouvellement constituées, par exemple, ou le chaos qui régnait à l’arrière. Mais comme toujours – le tableau d’ensemble montrait que l’armée de terre avait perdu sa capacité autrefois célèbre d’organisation : c’était là une des conséquences des trois années de commandement de Hitler.
Le premier but de notre difficile périple était un pont qu’on avait fait sauter sur l’aile nord de la VI e armée blindée SS. Pour me rendre utile, j’avais promis à Model de chercher à le réparer le plus vite possible. Les soldats réagirent à mon arrivée avec scepticisme. Mon aide de camp avait entendu l’un d’eux lui expliquer le motif de ma venue : « Il s’est fait taper sur les doigts par le Führer parce que le pont n’est pas encore terminé. Maintenant il a l’ordre de mettre lui-même la main à la pâte. » De fait, la construction du pont traînait. Car les unités d’ouvriers du bâtiment de l’O.T. que nous avions mises sur pied avec le plus grand soin étaient restées bloquées à l’est du Rhin dans des embouteillages inextricables, tout comme la plus grande partie du matériel du génie. La fin rapide de l’offensive était déjà conditionnée par la pénurie de l’outillage nécessaire à la construction des ponts.
L’approvisionnement insuffisant en carburant grevait la réussite des opérations. Les unités de blindés n’avaient déclenché l’offensive qu’avec de faibles réserves. Hitler avait calculé, avec sa légèreté d’esprit habituelle, que les unités de blindés s’approvisionneraient elles-mêmes avec les stocks qu’elles auraient enlevés aux Américains. Lorsque l’offensive fut stoppée, je vins en aide à Model et, distribuant force coups de téléphone, aux usines de benzol de la Ruhr toute proche je fis former des trains de wagons-citernes qui transportèrent le carburant jusqu’au front.
L’approvisionnement s’effondra lorsque, quelques jours après, le temps de brouillard changea et que le ciel, dégagé de tout nuage, se couvrit d’innombrables chasseurs et bombardiers ennemis. Voyager de jour devint un problème même pour une voiture privée rapide ; souvent, nous étions heureux de trouver un petit bosquet pour nous protéger. L’approvisionnement dut s’effectuer dorénavant la nuit : on progressait lentement, presque sans visibilité, d’un arbre à l’autre 7 . Le 23 décembre, trois jours avant Noël, Model me déclara que l’offensive avait définitivement échoué : et pourtant Hitler avait donné l’ordre de la poursuivre.
Je restai jusqu’à la fin décembre dans la région où se déroulait l’offensive, inspectai diverses divisions, fus pris sous le feu de l’artillerie et des chasseurs en piqué et vit les conséquences effroyables d’une attaque allemande
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