Au Coeur Du Troisième Reich
contre un nid de mitrailleuses : des centaines de soldats fauchés sur un bout de terrain. Le dernier soir, je rendis visite à Sepp Dietrich, dans son quartier général installé à proximité de la ville frontière belge de Houffalize. Lui, l’un des vieux compagnons de lutte, l’un des quelques fidèles depuis les débuts du parti, s’était, à sa manière fruste, éloigné à son tour de Hitler. Notre entretien tourna bientôt autour des derniers ordres de Hitler qui avait exigé, avec la dernière intransigeance, que Bastogne assiégée fût conquise « à tout prix » et se refusait à comprendre que les divisions SS puissent avoir des difficultés à venir à bout des Américains. Il étaitimpossible de convaincre Hitler qu’ils étaient des adversaires coriaces, aussi valeureux que nos soldats. « En outre, déclara Dietrich, nous ne recevons plus de munitions. L’approvisionnement est interrompu par les bombardements aériens. » Comme pour illustrer notre impuissance, l’entretien nocturne fut interrompu par un bombardement en piqué de grands quadrimoteurs. Des sifflements de bombes, des explosions, les lueurs rouges et jaunes illuminant les nuages, le grondement des moteurs et pas de défense antiaérienne à la ronde : j’étais abasourdi par ce spectacle d’impuissance militaire qui se déployait devant l’arrière-plan grotesque des erreurs d’appréciation de Hitler.
Protégé, par l’obscurité, des avions ennemis qui attaquaient en piqué tout ce qui fuyait sur les routes, je partis avec Poser le 31 décembre à quatre heures du matin, pour n’arriver que le lendemain vers deux heures du matin au quartier général de Hitler. A plusieurs reprises, nous dûmes nous mettre à couvert pour échapper aux chasseurs ; il nous avait fallu vingt-deux heures pour parcourir une distance de 340 kilomètres, en ne faisant que de courtes haltes.
Le quartier général ouest de Hitler, d’où il avait dirigé l’offensive des Ardennes, était situé au bout d’une vallée solitaire couverte de prairies, à deux kilomètres au nord-ouest de Ziegenberg, près de Bad Nauheim. Cachés dans les bois, camouflés en cabanes de rondins, les bunkers étaient munis des mêmes toits et des mêmes murs massifs que toutes les autres résidences de Hitler.
J’avais déjà tenté trois fois, depuis ma nomination au poste de ministre, de présenter mes vœux à Hitler de vive voix à l’occasion de la nouvelle année et, chaque fois, mon projet avait tourné court. En 1943 à cause d’un avion qui givrait, en 1944 à cause d’une avarie survenue en cours de vol, alors que je revenais du front de l’océan Glacial Arctique.
Deux heures s’étaient déjà écoulées, en cette année 1945, lorsque je pénétrai enfin dans le bunker privé de Hitler après avoir franchi de nombreux contrôles. Je n’arrivais pas trop tard : les aides de camp, les médecins, les secrétaires, Bormann, tout le monde était là rassemblé autour de Hitler, en train de boire du Champagne ; seuls les généraux de l’état-major manquaient. Dans cette ambiance détendue par l’alcool, mais néanmoins feutrée, Hitler était, me sembla-t-il, le seul qui fût enivré, même sans boisson stimulante, et en proie à une euphorie étonnante.
Bien que le début d’une nouvelle année ne pût modifier la situation désespérée de la précédente, le fait de pouvoir commencer une nouvelle année sur le calendrier semblait avoir suscité un sentiment général de soulagement. Hitler faisait des prévisions optimistes pour 1945 : notre détresse actuelle allait être surmontée ; pour finir nous sortirions vainqueurs de la guerre. L’assistance accueillit ces paroles en silence. Seul Bormann approuva Hitler avec enthousiasme. Après plus de deux heures, pendant lesquelles Hitler diffusa son optimisme de croyant, son entourage, moi compris, se sentit plongé, malgré tout le scepticisme qui l’animait, dans un état d’insouciance croissant : il n’avait rien perdu de son pouvoir magique… Car il n’existait plus d’arguments rationnels pour nous persuader. L’aveu implicite de sa défaite militaire totale qu’il fit en établissant un parallèle avec la situation de Frédéric le Grand 8 , aurait dû nous dégriser. Mais aucun d’entre nous n’y songea.
Trois jours plus tard, au cours d’une conférence avec Keitel, Bormann et Goebbels, ces espoirs irréels furent ravivés. Le tournant décisif devait
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