Au Coeur Du Troisième Reich
faisait tant d’efforts inutiles pour paraître garder ses distances, même à l’intérieur de notre cercle, à qui, de toute façon, cette liaison ne pouvait rester cachée.
Eva Braun restait très distante envers tous les membres de l’entourage de Hitler. Même vis-à-vis de moi, son attitude ne changea qu’au fil des années. Lorsque nous nous connûmes mieux, je remarquai que sa retenue, que beaucoup prenaient pour de l’orgueil, n’était que de la gêne. Elle sentait bien que sa position à la cour de Hitler était ambiguë.
Les premières années, Hitler habitait seul avec Eva Braun, un aide de camp et un domestique le petit chalet. Les cinq ou six hôtes, Martin Bormann, le chef du Service de presse Dietrich, les deux secrétaires et moi-même, nous logions dans une pension toute proche.
Que Hitler ait choisi l’Obersalzberg pour en faire un havre de repos semblait traduire un amour sincère de la nature. Là encore, je me trompais. Certes il lui arrivait d’admirer une belle vue, mais il était dans ces cas-là plus attiré par la majestueuse puissance des abîmes que charmé par l’aimable harmonie d’un paysage. Il se peut qu’il ait ressenti la nature plus profondément qu’il ne le laissait paraître. Mais je fus frappé de voir que les fleurs ne lui apportaient que peu de joie et qu’il ne les appréciait que comme élément décoratif. En 1934 un jour qu’une délégation de l’Organisation berlinoise des Femmes du Reich allait recevoir Hitler à la gare d’Anhalt et devait lui remettre des fleurs, la responsable téléphona au secrétaire du ministre de la Propagande, Hanke, pour savoir quelle était la fleur préférée du Führer. Celui-ci me dit : « J’ai déjà téléphoné partout, questionné les aides de camp, mais sans succès. Il n’a pas de préférence particulière. » Et après avoir réfléchi un moment, il ajouta : « Qu’en pensez-vous, Speer ? Si nous disions : l’edelweiss ! Je crois que ce serait le mieux. D’abord c’est une fleur rare, et puis elle vient des montagnes de Bavière. Nous allons répondre : l’edelweiss ! » De ce jour, l’edelweiss devint officiellement la « fleur du Führer ». Cette anecdote montre bien avec quelle liberté la propagande du Parti façonnait parfois l’image de Hitler.
Souvent Hitler parlait de grandes randonnées en montagne entreprises dans sa jeunesse. Pour un alpiniste, elles étaient évidemment insignifiantes. Il refusait de s’intéresser au ski ou à l’alpinisme. « Comment quelqu’un, disait-il, peut-il trouver du plaisir à prolonger artificiellement l’horrible hiver par un séjour en altitude ? » Il ne cessait d’exprimer l’aversion qu’il avait pour la neige, bien avant la catastrophe de la campagne d’hiver 1941-1942. « Si je m’écoutais, affirmait-il par exemple, j’interdirais ces deux sports car ils sont la cause de trop d’accidents. Mais les fous qui s’y adonnent forment le recrutement des troupes de montagne. »
De 1934 à 1936, Hitler faisait encore des promenades assez longues, empruntant les sentes forestières publiques, accompagné de ses invités et de trois ou quatre gardes du corps, membres de la police criminelle en civil. Eva Braun pouvait l’accompagner dans ces promenades, mais seulement en compagnie des deux secrétaires et à la fin de la colonne.
On considérait comme une faveur le fait d’être appelé par Hitler en tête de la colonne, bien que la conversation y fût des plus maigres. Au bout d’une demi-heure environ, Hitler changeait de partenaire en ordonnant à son compagnon ainsi renvoyé dans les rangs : « Allez me chercher le chef du Service de presse. » On marchait à vive allure. On rencontrait souvent d’autres promeneurs qui se rangeaient respectueusement ou qui, surtout les femmes et les jeunes filles, s’enhardissaient jusqu’à lui adresser la parole et s’entendaient répondre quelques mots aimables.
Le but de ces promenades était parfois une petite auberge de montagne, le « Hochlenzer » ou, à une heure de marche, le « Scharitzkehl », où on pouvait boire dehors sur de simples tables de bois un verre de lait ou de bière. Des randonnées plus longues étaient rares. Il y en eut une avec le commandant en chef de la Wehrmacht, le général von Blomberg. Il nous sembla que de graves problèmes militaires étaient évoqués car nous dûmes tous nous tenir à l’écart. Même quand nous nous installâmes dans
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