Au Coeur Du Troisième Reich
« grabuge ». Le même climat devait régner le 20 juillet 1944, époque à laquelle je me trouvais également à Berlin.
Le lendemain, on présenta Göring comme le sauveur de la situation. Quand Hitler revint de Munich, où il avait dirigé en personne les arrestations, son aide de camp me téléphona pour me demander : « Avez-vous quelques plans dans vos cartons ? Alors, apportez-les ! » Je compris que son entourage voulait distraire Hitler de ses préoccupations en l’amenant à s’intéresser à des problèmes d’architecture.
Hitler montrait une agitation extrême et était, je le crois encore aujourd’hui, profondément convaincu d’être sorti sain et sauf d’un péril grave. Il ne cessa, dans les jours qui suivirent, de rapporter comment, à Wiessee, il avait pénétré dans l’hôtel Hanselmayer, n’oubliant pas de souligner son courage. « Pensez, nous racontait-il, nous étions sans armes et ne savions même pas si ces salopards pourraient nous opposer une garde armée ! » L’atmosphère d’homosexualité qui régnait l’avait écœuré, prétendait-il en précisant : « Nous avons surpris dans une chambre deux jeunes hommes tout nus. » Manifestement il croyait avoir empêché en toute dernière minute, par son intervention personnelle, le déclenchement d’une catastrophe. « Car, répétait-il, moi seul pouvais tout résoudre. Personne d’autre ! »
Son entourage essaya d’augmenter son aversion pour les chefs SA abattus, en rapportant avec zèle le plus de détails possible sur la vie privée de Röhm et de sa suite. Brückner lui présenta les menus des festins de cette bande de débauchés. Il prétendait qu’on les avait découverts au quartier général berlinois de la SA. On y trouvait un nombre considérable de mets, d’aliments fins importés de l’étranger : cuisses de grenouilles, langues d’oiseaux, ailerons de requins, œufs de mouettes ; avec cela de vieux vins français et le meilleur Champagne.Hitler fit remarquer ironiquement : « Les voilà nos révolutionnaires ! Et c’est eux qui trouvaient que notre révolution allait trop lentement ! »
Il revint tout joyeux de la visite qu’il avait rendue au président du Reich ; Hindenburg avait, racontait-il, approuvé la chose à peu près en ces termes : « Au moment voulu, on ne doit pas avoir peur des conséquences ultimes. Le sang doit aussi pouvoir couler. » Au même moment, on pouvait lire dans les journaux que le président du Reich von Hindenburg avait officiellement félicité le chancelier du Reich Hitler et le premier ministre prussien Hermann Göring 1 .
Pour tenter de justifier cette action, les dirigeants déployèrent pendant quelques jours une activité fébrile. Le Reichstag fut convoqué pour entendre un discours de Hitler qui, en protestant de son innocence, dévoilait le sentiment qu’il avait de sa culpabilité. Un Hitler qui présente sa défense, nous n’en rencontrerons plus, même pas en 1939, lors de l’entrée en guerre. On alla même chercher le ministre de la Justice Gürtner, pour étayer la défense. Comme il n’était pas membre du parti et qu’il ne devait donc pas, semblait-il, obédience à Hitler, son intervention n’en eut que plus de poids pour tous ceux qui doutaient encore. L’absence de protestation avec laquelle la Wehrmacht accueillit la mort du général Schleicher fit également une certaine sensation. Mais en dernier ressort, c’est l’attitude de Hindenburg qui fit le plus d’effet, non seulement sur moi, mais sur un bon nombre d’apolitiques de ma connaissance. Pour les bourgeois de ma génération, c’est-à-dire ceux qui avaient connu la Première Guerre mondiale, le Feldmarschall était une personnalité dotée d’une autorité au-delà de tout soupçon. Déjà du temps où j’allais à l’école, il personnifiait le vrai héros, inflexible et tenace, de l’histoire contemporaine. Le nimbe qui l’entourait en avait fait, à nos yeux d’enfants, un personnage de légende aux contours un peu flous. Tout comme les adultes, nous avions planté, au cours de la dernière année de guerre, des clous de fer, achetés pour quelques marks pièce, dans des statues de bois de dimensions énormes représentant le maréchal. Depuis l’école, il était en quelque sorte le symbole même de l’autorité. Savoir que lui, l’instance suprême, couvrait Hitler, répandait un sentiment de sécurité.
Ce n’est pas par hasard
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