Au Coeur Du Troisième Reich
déclara : « Quand le marteau s’est cassé, j’ai tout de suite su que c’était un mauvais présage ! Maintenant, me suis-je dit, il va arriver quelque chose ! Aujourd’hui nous savons pourquoi le marteau s’est brisé : l’architecte devait mourir. » Ce n’est pas le seul exemple que je connaisse de la superstition de Hitler.
Pour moi aussi, la mort de Troost fut une grande perte. Nos rapports commençaient à gagner en intimité et j’en espérais un grand profit sur le plan humain comme sur le plan artistique. Le secrétaire d’État de Goebbels, Funk, voyait les choses différemment : je le rencontrai le jour de la mort de Troost dans l’antichambre de son ministre, un long cigare dans sa figure ronde : « Je vous félicite, me dit-il. Désormais vous êtes le premier ! »
J’avais vingt-huit ans !
5.
Mégalomanie architecturale
Pendant un temps, on aurait pu croire que Hitler voulait reprendre lui-même le bureau de Troost. Il craignait qu’on ne continuât pas à élaborer les plans dans l’esprit de l’architecte disparu. « Le mieux, disait-il, c’est que je prenne ça en main. » L’idée n’était finalement pas plus singulière que celle qui le conduisit plus tard à prendre le commandement en chef de l’armée. Sans doute, pendant quelques semaines, la perspective de diriger un atelier dont les collaborateurs formaient une équipe bien soudée l’excita-t-elle. Il avait l’habitude de profiter du trajet de Berlin à Munich pour se préparer à ce rôle, en s’entretenant de plans et de projets ou en crayonnant des esquisses pour prendre, quelques heures plus tard, la place du véritable chef d’atelier et corriger les plans qui se trouvaient sur sa table à dessin. Mais ce chef d’atelier, un Munichois simple et bonhomme, nommé Gall, défendait l’œuvre de Troost avec une ténacité inattendue. Il n’acceptait aucune des suggestions que Hitler avait commencé par dessiner avec force détails et finalement faisait mieux.
Hitler se mit à avoir confiance en lui et abandonna sans mot dire son idée première. Il avait reconnu le savoir-faire de l’homme de l’art. Quelque temps après, il lui confia même nominalement la direction de l’atelier et lui passa d’autres commandes.
Il resta également très lié avec la veuve de Troost, à laquelle l’attachait depuis longtemps une grande amitié. C’était une femme de goût et de caractère qui savait soutenir des vues souvent très personnelles avec plus d’obstination que bien des dignitaires en poste. Elle défendit l’œuvre de son mari défunt avec un acharnement et une violence parfois exagérés, ce qui la fit craindre d’un grand nombre de personnes. Ainsi elle combattit Bonatz qui avait eu l’imprudence de manifester son opposition au projet que Troost avait élaboré pour la Königsplatz de Munich ; elle attaqua violemment les architectes modernes Vorhoelzer et Abel. Dans toutes ces affaires, Hitler était d’accord avec elle. Par ailleurs, elle lui présentait les architectes munichois de son choix, faisait la critique ou l’éloge d’artistes ou de manifestations artistiques et devint dans tous les domaines où Hitler l’écoutait, une espèce de juge. Malheureusement, ce n’était pas le cas pour la peinture. Dans ce domaine, Hitler avait chargé son photographe Hoffmann de faire un premier choix parmi les tableaux envoyés pour l’annuelle « Grande Exposition artistique ». M me Troost critiqua souvent le choix unilatéral de Hoffmann, mais, sur ce terrain, Hitler ne céda point, si bien qu’elle renonça bientôt à participer aux séances de critique. Quand je voulais faire des cadeaux à mes collaborateurs, je chargeais mes acheteurs d’aller prospecter les caves de la « Maison de l’Art allemand » où on entreposait les tableaux refusés. Quand, aujourd’hui, je retrouve dans les appartements de personnes de ma connaissance, les tableaux que j’avais alors fait choisir, je suis frappé du peu de différence qu’ils présentent avec les tableaux exposés à l’époque. Les divergences autour desquelles on avait fait tellement de bruit ont entre-temps disparu.
J’étais à Berlin, lorsqu’éclata le « putsch » de Röhm. Une grande tension régnait sur la ville. Des soldats en tenue de campagne étaient stationnés au Jardin d’acclimatation. La police, armée de fusils de guerre, sillonnait la ville en camions ; on sentait qu’il allait y avoir du
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