Au Coeur Du Troisième Reich
philharmonique de Berlin. De toutes les personnalités du régime, on n’y rencontrait en fait que le ministre de l’Intérieur, Frick ; Hitler lui-même, qui au début paraissait s’intéresser passionnément à la musique, n’alla plus, à partir de 1933, qu’en de très rares occasions, officielles d’ailleurs, entendre l’orchestre philharmonique de Berlin.
On s’explique donc qu’en 1933, pour la représentation des Maîtres chanteurs , l’Opéra de Nuremberg ait été presque vide quand Hitler pénétra dans la loge d’honneur. Sa réaction fut vive car, estimait-il, pour un artiste rien n’était plus difficile ni injurieux que de jouer devant une salle vide. Hitler envoya des patrouilles chercher à leur hôtel, dans les bars et les brasseries, les hauts fonctionnaires du parti pour les ramener à l’Opéra, mais on ne réussit toutefois pas à remplir la salle. Le lendemain on se racontait à la direction de l’organisation comme de bonnes blagues où et comment on avait mis la main sur les manquants.
Là-dessus, l’année suivante, Hitler donna aux dirigeants du parti, si peu férus de théâtre, l’ordre exprès d’assister à la représentation du gala. Ils vinrent, s’ennuyèrent, furent, pour bon nombre d’entre eux, terrassés par le sommeil. Les applaudissements plutôt maigres ne reflétaient pas non plus, de l’avis de Hitler, l’éclat de la soirée. A partir de 1935, la masse du parti, si fermée à l’art, fut remplacée par un public civil qui dut payer très cher le droit d’entrer. C’est alors seulement qu’on obtint l’« atmosphère » indispensable à l’artiste et les applaudissements exigés par Hitler.
Tard le soir, les préparatifs terminés, je rentrais au Deutscher Hof, l’hôtel réservé à l’état-major de Hitler, aux Reichsleiter et aux Gauleiter. Au restaurant de l’hôtel je rencontrais régulièrement un groupe de Gauleiter d’un certain âge. Ils faisaient du scandale et buvaient comme des soudards, proclamant que le parti avait trahi les principes de la révolution, qu’il avait trahi les travailleurs. Cette fronde montrait que les idées de Gregor Strasser, l’ancien leader de l’aile anticapitaliste dans le N.S.D.A.P., même réduites à des formules creuses, continuaient de vivre. Mais ces hommes ne retrouvaient l’ancien élan révolutionnaire que dans l’alcool.
En 1934 eut lieu pour la première fois, au Congrès du parti, un défilé militaire en présence de Hitler. Le soir même, celui-ci fit une visite officielle au bivouac des soldats. L’ancien caporal semblait replongé dans unmonde familier. Autour des feux de camp, il se mêla à la troupe et, vite entouré, échangea des plaisanteries avec les soldats. Hitler revint de cette visite très détendu, rapportant pendant le bref repas des détails intéressants.
Le haut commandement de l’Armée ne partageait nullement cet enthousiasme. L’aide de camp Hossbach parla des « actes d’indiscipline » des soldats qui avaient, devant le chef de l’État, quitté l’alignement. Il insista pour que, l’année suivante, on empêchât de telles familiarités nuisibles au prestige du chef de l’État. Hitler, qui, en privé, était très irrité de ces critiques, se montra disposé à céder. Je fus étonné de sa réserve, je dirais presque de son embarras, lorsqu’il se trouva confronté à ces exigences. Il est possible pourtant que la prudence tactique qui commandait ses rapports avec la Wehrmacht et son manque d’assurance dans son rôle de chef de l’État l’aient forcé à adopter cette attitude.
Au cours des préparatifs du Congrès, je rencontrais une femme qui, déjà du temps de mes études, m’avait beaucoup impressionné. Il s’agissait de la star et metteur en scène de célèbres films de montagne ou de ski, Leni Riefenstahl. Elle avait été chargée par Hitler de faire des films sur les congrès. Seule femme remplissant une fonction officielle dans les rouages du parti, elle allait souvent se heurter à l’organisation du parti, qui, au début, tenta parfois de fomenter une révolte contre elle. Cette femme, avec son assurance, son art de diriger sans complexes un univers masculin et d’arriver à ses fins, était une provocation permanente pour les dirigeants politiques de ce mouvement traditionnellement misogyne. Pour la renverser, on monta des intrigues, on rapporta à Hess des calomnies. Pourtant, après le premier film, qui réussit à
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