Au Coeur Du Troisième Reich
à mon sens aux aides de camp qu’il incombait d’inviter ma femme ou d’attirer l’attention de Hitler sur elle. Mais on ne pouvait attendre d’eux aucun sens de l’étiquette. C’est à de telles petites choses, secondaires en soi, qu’on put longtemps, au fond jusqu’à la fin, reconnaître l’origine petite-bourgeoise de Hitler.
Ce même soir où il fit sa connaissance, Hitler déclara à ma femme, non sans quelque solennité : « Votre mari va bâtir pour moi des édifices comme il n’y en a plus eu depuis quatre millénaires. »
Sur l’esplanade Zeppelin avait lieu chaque année une fête organisée pour le corps des petits et moyens fonctionnaires du parti, ceux qu’on appelait les « administrateurs ». Alors que les SA, le service du travail et bien entendu la Wehrmacht faisaient grosse impression sur Hitler et les spectateurs par leur discipline et l’exactitude avec laquelle ils réglaient les mouvements de leurs démonstrations de masse, il apparut qu’il serait difficile de montrer les administrateurs sous un jour aussi flatteur. Engraissés par leurs prébendes, ils avaient dans leur majorité pris un ventre respectable. On ne pouvait même pas attendre d’eux qu’ils forment correctement les rangs. La division chargée de l’organisation du Congrès du parti cherchait désespérément une solution à ce douloureux problème qui avait provoqué des remarques ironiques de la part de Hitler, quand me vint l’idée salvatrice : « Faisons-les donc, proposai-je, défiler dans l’obscurité. »
Je développai mon plan devant les responsables de l’organisation du Congrès du parti. On rassemblerait pour la cérémonie nocturne les milliers d’étendards des groupes locaux d’Allemagne derrière les murs de l’esplanade qui les cacheraient de leur hauteur, jusqu’au moment où, à un commandement, les porteurs d’étendards, divisés en dix colonnes, avanceraient dans les dix travées formées par les administrateurs venus s’aligner sur le terre-plein. Les étendards et les aigles brillants qui les couronnaient seraient éclairés par dix puissants projecteurs de façon que ce seul spectacle produise un effet saisissant. Mais cela ne me semblait pas encore suffisant. J’avais eu l’occasion de voir nos nouveaux projecteurs de défense antiaérienne éclairer à plusieurs kilomètres de hauteur. Je priai Hitler de m’en prêter 130. Göring fit d’abord quelques difficultés car ces 130 projecteurs constituaient la plus grosse part de sa réserve stratégique. Mais Hitler réussit à le convaincre en lui opposant l’argument suivant : « Si nous en disposons un si grand nombre ici, on va croire que nous nageons dans les projecteurs. »
Le résultat dépassa tout ce que j’avais imaginé. Les 130 projecteurs, placés tout autour de l’esplanade, à 12 mètres seulement les uns des autres, illuminaient le ciel de leurs faisceaux qui, d’abord bien détachés, se fondaient à une hauteur de 6 à 8 kilomètres en une vaste nappe lumineuse. On avait ainsi l’impression de se trouver dans une immense pièce aux murs d’une hauteur infinie soutenus par de puissants piliers lumineux. Parfois un nuage traversait cette couronne de lumière et ajoutait au spectacle grandiose un élément d’irréalité surréaliste. Je suppose que cette « cathédrale lumineuse » fut la première architecture lumineuse. Pour moi, elle ne reste pas seulement ma plus belle création spatio-architecturale, mais également la seule à avoir, à sa façon, acquis une certaine pérennité. « C’était en même temps solennel et beau, on se serait cru dans une cathédrale de glace », écrivit l’ambassadeur britannique Henderson 5 .
Condamner à l’obscurité ministres du Reich, Reichsleiter, Gauleiter et autres dignitaires présents à la pose d’une première pierre eût été impossible, et pourtant ils n’étaient pas plus présentables que les administrateurs. On avait toutes les peines à les faire mettre en rangs. Comme ils étaient d’ailleurs plus ou moins rabaissés au rôle de figurants, ils acceptaient sans broncher les rebuffades impatientes des maîtres de cérémonie. Hitler apparaissait. Au commandement, on se mettait au garde-à-vous et on étendait le bras pour le salut. Quand on posa la première pierre du palais du Congrès à Nuremberg, Hitler m’aperçut, debout au deuxième rang ; il interrompit alors le cérémonial solennel pour tendre le bras
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