Aux armes, citoyens !
« rosse-coquin ».
Et pour tenir la rue parisienne, si longtemps occupée par
les sans-culottes, les Jacobins, et avant eux par les Enragés, les hébertistes,
les maratistes, la Jeunesse dorée est bien utile à Fréron, à Tallien, à Barras,
à Fouché, à ces anciens terroristes qui ont rompu avec la Montagne, et qu’inquiète
un Billaud-Varenne qui ose dire encore au club des Jacobins :
« Le lion n’est pas mort quand il sommeille et à son
réveil il extermine tous ses ennemis. »
Les muscadins répondent en chantant Le Réveil du peuple. Et
Fréron et Tallien ne cherchent pas à savoir qui ils sont.
« On faisait semblant de ne pas s’apercevoir, raconte l’un
d’eux, que nous étions tous ou presque tous des réquisitionnaires insoumis. On
se disait que nous servirions plus utilement la chose publique dans les rues de
Paris qu’à l’armée de Sambre-et-Meuse, de Rhin-et-Moselle ou des
Pyrénées-Orientales, et qui eût proposé de nous envoyer battre l’estrade aux
frontières eût été fort mal reçu, croyez-le bien. »
Et cependant, malgré ces bandes de la Jeunesse dorée, qui
commencent à fréquenter les sections de la Commune de Paris et y faire adopter
des décisions, en contraignant les Jacobins à se taire, les Thermidoriens les
plus lucides sont inquiets.
Le maximum des prix des denrées n’est plus respecté. Le pain
augmente. Et les paysans refusent de livrer leur grain.
« L’aristocratie marchande relève la tête avec audace »,
dit un rapport de police.
À Marseille, les représentants en mission font arrêter un
instituteur qui appelle les patriotes à de nouvelles « septembrisades ».
Dans une Adresse à la Convention, les Jacobins de
Dijon réclament un « retour à la politique de Robespierre ».
Le « lion » jacobin va-t-il se réveiller comme le
souhaite Billaud-Varenne ?
Le 14 fructidor (31 août), la poudrière établie dans la
plaine de Grenelle a sauté en l’air et dévasté d’une manière horrible tous les
environs. La commotion a été si forte qu’elle s’est fait sentir depuis le
faubourg Saint-Germain jusqu’à Passy et au-delà… On retire deux heures après l’événement
les morts et les mourants par centaines. On compte qu’environ deux mille
personnes y ont perdu la vie et que plus de mille en seront estropiées tout le
reste de leurs jours… Déjà, le 19 août, le magasin de salpêtre à l’abbaye de
Saint-Germain avait explosé.
Tout Paris est épouvanté.
S’agit-il de malheurs ? S’agit-il de crimes ?
Dans la nuit du 24 fructidor an II (10 septembre 1794), Tallien
est attaqué, blessé par un agresseur qui réussit à s’enfuir. Est-ce un « chevalier
de la guillotine », un Jacobin ?
Peut-être faut-il apaiser ce peuple sans-culotte qui se tait,
mais qui peut se remettre à gronder et dont on perçoit déjà, ici et là, le
murmure.
Les Jacobins demandent le transfert du corps de Marat au
Panthéon, la Convention hésite, puis, prudente, le décrète.
Et solennellement, le 21 septembre, anniversaire de Valmy et
de la proclamation de la République en 1792, Marat est conduit au Panthéon. C’est
le dernier jour de l’an II.
Demain, 1 er vendémiaire, c’est l’an III.
17.
C’est l’automne 1794, mais ces mois de vendémiaire et de
brumaire an III grelottent déjà dans un froid glacial qui annonce un hiver rude.
Quand on piétine durant des heures devant les boulangeries, les
comestibles, on se croirait en frimaire et nivôse (novembre-décembre).
Les lèvres gercées, les doigts gourds, on ne proteste même
pas contre les prix du pain, de la viande, du bois, du charbon, des chandelles
et du savon, qui ont augmenté, depuis la chute de Robespierre, de plus d’un
tiers.
Plus personne ne respecte le maximum des prix, et bientôt – le
24 décembre – il sera aboli. Et les prix s’envoleront encore, et bienheureux
les jours où le boulanger fait plusieurs fournées. Car le grain manque. L’Angleterre
serre le nœud coulant du blocus. Et les paysans qui n’ont aucune confiance dans
l’assignat, cette monnaie dont les billets perdent jour après jour de leur
valeur, gardent leur grain, attendant la hausse prochaine, exigeant d’être payés
en pièces d’or, ou bien échangeant leurs sacs de céréales contre de la viande
ou des biens. Le troc vaut mieux que le paiement en assignats.
Mais l’ouvrier, lui, n’a à vendre et à échanger que sa force
et son habileté. Et
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