Barnabé Rudge
assez
commune de tenir le milieu de la chaussée afin d'être mieux en
garde contre les voleurs en embuscade sur les bas-côtés ; on y
regardait pour s’en retourner, sur le tard à Kentish Town ou à
Hampstead, ou même à Kensington et à Chelsea, sans armes et sans
escorte, celui-là qui venait de faire blanc de son épée au souper
de la taverne, et qui n’avait qu'un mille environ à faire, n'était
pas fâché de payer un porteur de torche pour se faire escorter
jusque chez lui.
Beaucoup d'autres détails caractéristiques,
pas tout à fait si désagréables se voyaient alors à Londres dans
les voies de circulation, détails avec lesquels on était depuis
longtemps familiarisé. Quelques boutiques, spécialement celles du
côté oriental de Temple-Bar, adhéraient encore à l'ancien usage de
suspendre à l'extérieur une enseigne, et ces belles images, en
criant et se balançant dans leurs cadres de fer durant les nuits
vendeuses, formaient, pour les oreilles de ceux qui étaient au lit,
mais réveillés, ou de ceux qui traversaient les rues
précipitamment, un concert étrange et lamentable. De longues
stations de voitures de louage et des groupes de porteurs de
chaise, en comparaison desquels les cochers d’à présent sont doux
et polis, obstruaient la voie publique et remplissaient l’air de
clameurs. Les caveaux nocturnes indiqués par un petit courant de
lumière qui, franchissant le trottoir, s'étendait jusqu'au milieu
de la rue, et par le tapage étouffé des voix d'en bas restaient
béants pour recevoir et régaler les êtres les plus dépravés des
deux sexes. Sous chaque auvent et à l’encoignure de chaque édifice
des porteurs de torches, en petits groupes perdaient au jeu leur
gain de la journée, ou l'un deux, plus las que les autres cédait au
sommeil, et laissait le reste de sa torche tomber en sifflant sur
le sol bourbeux.
Il y avait aussi le veilleur avec son bâton et
sa lanterne, criant l'heure qu'il était et le temps qu’il faisait,
et ceux qui, réveillés à sa voix, se retournaient dans leur lit, ne
l’en trouvaient que meilleur en apprenant avec plaisir qu'il
pleuvait ou qu'il neigeait, ou qu'il ventait, ou qu’il gelait, sans
qu’ils en souffrissent en rien dans leur confort. Le passant
solitaire tressaillait au cri des porteurs de chaise :
« Place, s'il vous plaît ! » lorsque deux de ces
hommes arrivaient en trottant et le dépassaient avec leur véhicule
à vide, renversé en arrière pour montrer qu'il était libre, en se
précipitant vers la station la plus proche. Mainte chaise
particulière renfermant quelque belle dame monstrueusement garnie
de cerceaux et de falbalas, et précédée de coureurs portant des
flambeaux, dont les éteignoirs sont encore suspendus devant la
porte d'un petit nombre de maisons du meilleur genre, donnait à la
rue un moment de gaieté et de légèreté, pendant qu'elle y passait
en dansant, pour la rendre plus sombre et plus sinistre encore
lorsqu'elle avait passé. Ce n'était pas chose rare, pour ces
coureurs, qui menaient tout le monde tambour battant, de se prendre
de querelle dans la salle des domestiques tandis qu'ils attendaient
leurs maîtres et leurs maîtresses ; d'en venir aux coups soit
là, soit dehors dans la rue, et de joncher le lieu de l'escarmouche
de poudre à cheveux, de morceaux de perruques et de bouquets
éparpillés. Le jeu, ce vice si répandu dans tous les rangs (il
était mis naturellement à la mode par l'exemple des classes
supérieures) était en général la cause de ces disputes ; car
les cartes et les dés s'étalaient aussi à découvert, enfantaient
autant de mal, et produisaient une excitation aussi grande dans les
vestibules que dans les salons. Tandis que des incidents de ce
genre, provenant de soirées, de mascarades ou de parties au
quadrille [17] , se passaient à l'extrémité orientale
de la ville, de lourdes diligences et des charrettes massives (il
n'y avait pas d'ailleurs grande différence de vitesse) roulaient
lentement leur cargaison vers la cité ; le cocher, le
conducteur, les voyageurs, étaient armés jusqu'aux dents ; la
diligence, en retard d'un jour ou deux peut-être, mais on n'y
regardait pas de si près, était dévalisée par des voleurs de grand
chemin. Ces voleurs-là ne se faisaient pas scrupule d'attaquer,
souvent seuls de leur bande, toute une caravane d'hommes et de
marchandises ; ils tuaient quelquefois à coups de fusil un
voyageur ou deux ; quelquefois
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