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Barnabé Rudge

Barnabé Rudge

Titel: Barnabé Rudge Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles Dickens
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aussi ils se faisaient tuer
eux-mêmes, selon que le cas se présentait. Le lendemain, le bruit
de ce nouvel acte d'audace sur les routes parcourait la ville et
fournissait matière aux conversations pendant quelques heures. Puis
une procession publique de quelques beaux gentlemen (à moitié
ivres), dirigés sur Tyburn, habillés à la dernière mode, et
maudissant l'aumônier de la prison avec une bravoure et une grâce
inexprimables, offrait à la populace un agréable divertissement en
même temps qu'un grand et salutaire exemple.
    Parmi tous les redoutables individus qui,
profitant d'un tel état de société, rôdaient et se cachaient la
nuit dans la capitale, il y avait un homme dont beaucoup d'autres,
aussi rudes et aussi farouches que lui, s'écartaient avec une
terreur involontaire. Qui il était, d'où il venait, c'était une
question souvent faite, mais à laquelle personne ne pouvait
répondre. On ignorait son nom ; il n'y avait pas plus de huit
jours qu'on l'avait vu pour la première fois, et il était également
inconnu des vieux et des jeunes scélérats dont il s'aventurait sans
crainte à hanter les repaires. Ce ne pouvait être un espion, car il
ne relevait jamais son chapeau rabattu pour regarder autour de
lui ; il n'entrait en conversation avec personne, ne
s'occupait en rien de ce qui se passait, n'écoutait aucun discours,
n'examinait ni ceux qui arrivaient ni ceux qui s'en allaient. Mais
aussitôt qu'on était au fort de la nuit, on était sûr de le
retrouver au milieu de la cohue des caveaux nocturnes où se
rendaient les bandits de tout grade ; et il y restait assis
jusqu'au matin.
    Ce n'était pas seulement à leurs fêtes
licencieuses qu'il avait l'air d'un spectre, de quelque chose qui
les glaçait au milieu de leur bruyante gogaille, et les obsédait
comme un fantôme ; sorti de là, il était le même. Dès qu'il
faisait sombre, il était dehors, jamais en compagnie de qui que ce
fût, mais toujours seul ; jamais ne s'arrêtant, ne flânant,
mais toujours marchant d'un pas rapide, regardant par-dessus son
épaule de temps en temps, et, après avoir regardé ainsi, accélérant
son pas. Dans les champs, dans les sentiers, dans les routes, dans
tous les quartiers de la ville, est, ouest, nord et sud, on voyait
cet homme glisser comme une ombre. Il était toujours pressé. Ceux
qui le rencontraient le voyaient passer bien vite ; ils
surprenaient son coup d'œil en arrière, et le voyaient se perdre
dans l'obscurité.
    Cette constante agitation, cette fuite errante
et perpétuelle, donnaient naissance à d'étranges histoires ;
on l'avait vu en des endroits si éloignés l'un de l'autre et à des
heures si rapprochées, qu'il y avait des gens qui n'étaient pas
bien sûrs, qu'au lieu d'être tout seul, cet homme-là ne fût pas
double ou triple, avec des moyens surnaturels pour voyager d'un
endroit à un autre. Le voleur à pied qui se cachait dans un fossé
l'avait remarqué passant comme un spectre le long du bord ; le
vagabond l'avait vu sur la grande route ténébreuse ; le
mendiant l'avait vu s'arrêter sur un pont, baisser la tête pour
regarder l'eau, puis filer encore ; ceux qui trafiquaient des
cadavres avec les chirurgiens pouvaient jurer qu'il couchait dans
des cimetières, et qu'ils l'avaient vu fuir en glissant parmi les
tombes, à leur approche. Et, lorsqu'on se racontait ces histoires à
l'oreille l'un de l'autre, on était tout étonné que le narrateur,
après avoir regardé autour de lui, tirait son auditeur par la
manche pour lui dire : « Chut ! il est
là. »
    Enfin un homme, un de ceux qui travaillent
dans le cadavre, résolut de questionner cet étrange compagnon. La
nuit suivante, quand l'autre eut mangé sa pauvre pitance avec
voracité (on avait observé que c'était sa coutume de manger de la
sorte, comme s'il ne faisait pas d'autres repas de tout le jour),
notre gaillard vint s'asseoir auprès de l'inconnu, coude à
coude.
    « Une sombre nuit, maître !
    – Oui, une sombre nuit.
    – Plus sombre que la dernière, bien
qu'elle fût noire comme de la poix. N'est-ce pas vous que j'ai
croisé proche la barrière, sur la route d'Oxford ?
    – Comme il vous plaira. Je ne sais
pas.
    – Allons, allons, maître, cria le
questionneur, encouragé par les regards de ses camarades et lui
tapant sur l'épaule, soyez donc plus sociable, plus communicatif.
Il faut se conduire en gentleman quand on est en si bonne
compagnie. Il circule des histoires parmi

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