Bataillon de marche
assez haut.
Lander se tut un instant ; il eut un regard désapprobateur mais non fâché. On apprenait à l’Ecole militaire de Dresde qu’un officier ne doit jamais perdre la face. Le cadet Lander avait rempli cent vingt-six cahiers des instructions de l’inspecteur en chef, dont un tout entier sur le comportement d’un officier à bicyclette. Ce ne fut donc qu’un regard hautain qui se posa sur la 1 er section.
– La mort peut être belle, reprit-il sur un ton d’homélie. Elle peut même être douce, cria-t-il au désert de neige comme s’il goûtait le mot « douce ». Le devoir d’un soldat allemand est de combattre et de mourir pour sa grande patrie, la plus belle fin d un Allemand est de mourir en héros.
– Hé ! crève donc, figure de merlan ! rigola Petit-Frère.
Le capitaine fit un immense effort pour réprimer un hurlement de rage. Il ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois pendant que son visage bleu de froid rougissait et pâlissait.
– Vous, caporal, je vous prie de la boucler tant que je ne vous adresse pas la parole !
– Oui, mon capitaine, s’écria Petit-Frère, je me ferai un plaisir de la boucler jusqu’ a ce que mon capitaine m’adresse la parole !
Porta sourit, le légionnaire aussi, Steiner cracha sans gêne vers un cadavre qui gelait dans la neige, Alte trépigna et se frappa une cuisse de la main.
Le chef de la compagnie se mordit la lèvre. Il rajusta son ceinturon un peu affaissé là où pendait le revolver Walther, et continua d une voix plus rude :
– C’est la volonté de Dieu que vous soyez désignés pour une mission derrière les lignes rouges, mission magnifique dont vous pouvez être fiers.
– Blédard ? demanda la voix de Petit-Frère, Dieu
est donc général ?
Cette fois, Lander oublia ses cahiers. En trois pas, il se planta devant le géant et hurla tout en crachouillant :
– Salaud ! Chien ! Trois jours d arrêt de rigueur pour insolence envers votre chef. Un mot de plus et je vous abats comme le salopard que vous êtes. Répétez ce que je viens de dire !
_ Oui, si vous promettez de ne pas tirer, mon capitaine, répondit Petit-Frère sur le ton « caserne », car si mon capitaine ratait, on pourrait me traîner en conseil de guerre et me refusiller !
Le capitaine devint apoplectique. Sa main se porta vers son revolver et nous crûmes qu’il allait effectivement tirer. Le seul qui gardât son calme était le géant lui-même qui restait là tout tranquille, les yeux dans les nuages.
– A terre ! gronda le capitaine.
– Qui ? Moi ? demanda Petit-Frère.
– A terre ! répéta Lander d’une voix blanche de rage.
Petit-Frère tomba, comme un sac de pommes de terre roule au bas de l’escalier de service. Le gros officier le regarda, cracha et continua en s’adressant au reste de ia compagnie :
– Ce criminel est une honte pour l’honneur de la compagnie. Si vous avez quelque chose dans le ventre, vous vous débrouillerez pour qu’il pourrisse au plus tôt sous un casque d’acier rouillé, mais je puis vous garantir que ses jours sont comptés. Le premier conseil de discipline à venir aura à s’occuper de lui.
Le charcutier du Slesvig n’entendit heureusement pas ce que Petit-Frère marmonnait dans la neige, et daigna nous mettre au fait de notre mission. La section devait revêtir des uniformes russes, monter dans quatre chars russes du type T 34, et partir en reconnaissance derrière les lignes russes. On avait certainement en Allemagne une haute opinion de la Convention de Genève dont on parlait à tout bout de champ, mais cette idée géniale en était une violation manifeste. D’un geste méprisant, Ile capitaine congédia la compagnie. A ses yeux, nous étions déjà portés disparus.
Le plus difficile fut de trouver un uniforme russe pouvant couvrir la carcasse de deux mètres de haut de Petit-Frère. Ce dernier jurait et hurlait que c’était violer le droit des gens que les fourrer dans l’uniforme d’Ivan ; il coiffa rageusement la tourelle d’un char d’un bonnet de fourrure trop petit, donna un coup de pied à un fusil mitrailleur et fit des efforts désespérés pour entrer dans les culottes russes.
– Je sais ! cria-t-il soudain. Je vais demander à faire ma taule tout de suite. Selon le règlement, un condamné peut exiger d’être enfermé si on le fait suer.
– Tu es cinglé, grommela le petit légionnaire. Le charcutier te descendra sur place si tu réclames ta
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