Belle Catherine
en dessous cette femme, que l'on disait si belle, et qui semblait traîner, dans les plis de sa robe noire, toute la douleur du monde.
L'église n'était pas grande, mais elle parut à Catherine un long tunnel au fond duquel brillaient des lumières jaunes. Des chandelles brûlaient à l'autel où le vieux curé, sous la chasuble noire des funérailles, attendait debout, le dos tourné au tabernacle. Devant lui, au bas des marches, un homme vêtu de noir était agenouillé. Le cœur de Catherine manqua un battement, puis se mit à cogner comme un fou. Elle prit dans sa main les mains jointes d'Isabelle, les serra si fort que la vieille dame gémit. Lentement, elle la guida vers le banc des seigneurs, l'y fit asseoir, mais se redressa, s'obligeant à regarder l'homme à genoux.
Arnaud eut-il conscience du poids de ce regard accroché à lui ? Il se détourna légèrement. Catherine, les lèvres tremblantes, entrevit son profil fier. Allait-il se retourner complètement, la regarder ? Non... Il ramenait son regard vers l'autel. Sans doute refusait-il de laisser son courage s'amollir.
— Mon amour !... balbutia tout bas Catherine... Mon pauvre amour !
La voix cassée du prêtre s'élevait maintenant, frêle et pitoyable, tandis que le sacristain, un paysan blême aux gestes maladroits, disposait deux cierges de chaque côté d'Arnaud.
— Requiem aeternam dona eis, Domine, et lux perpétua luceat eis...
Comme dans un songe affreux, Catherine suivit sans voir, écouta sans entendre, se dérouler cette messe de funérailles d'un mort vivant. Tout à l'heure, Arnaud de Montsalvy aurait cessé d'exister aussi sûrement que si la main du bourreau avait tranché sa tête. Il ne serait plus qu'un inconnu cloîtré dans une ladrerie, un être encore vivant mais sans nom, sans humanité, un peu de chair souffrante derrière des portes qui ne s'ouvriraient plus pour lui. Et elle... elle serait veuve ! Un mouvement de révolte s'empara d'elle. Elle eut envie de se ruer, tout à coup, au milieu de cette messe sacrilège, d'arracher cet homme qu'elle adorait à toutes ces mains peureuses comme, jadis, elle avait tenté d'arracher Michel, son frère, à la populace parisienne. Oui, c'était cela... courir à lui, prendre sa main, fuir ! Mais il n'y avait plus l'astuce joyeuse de Landry, ni le solide bon sens de Barnabé. Personne ne l'aiderait, personne ne comprendrait... Gauthier peut-être ?... Mais le géant était resté au-dehors de l'église où il n'entrait jamais et ces paysans formaient une masse compacte. Jamais Arnaud et elle ne pourraient franchir ce mur vivants... D'ailleurs, accepterait-il de la suivre, lui qui avait mis tout son amour à la protéger de lui- même ?
La conscience de sa faiblesse faillit abattre le courage de Catherine. Des larmes brûlantes montèrent à ses yeux. D'un geste enfantin, elle étendit une de ses mains devant elle, la regarda avec horreur, comme pour lui reprocher sa faiblesse.
Des mains qui n'avaient pas su retenir l'amour, qui n'avaient pas su deviner, sur le corps de l'homme aimé, les symptômes du mal terrible, contracté sans doute dans l'infecte geôle où l'avait tenu La Trémoille.
La Trémoille ! L'épaisse silhouette du gros chambellan évoquée dans cette église perdue alluma en Catherine la soif de vengeance. Elle ne savait pas combien de temps elle résisterait à sa douleur d'amour, mais cet homme, qui était cause de tous leurs malheurs, qui les avait poursuivis d'une haine implacable et stupide, celui-là, il faudrait qu'il paie, qu'il paie très cher pour que Montsalvy puisse revivre, pour qu'un avenir ensoleillé s'ouvrît devant Michel et pour qu'elle-même pût enfin mourir apaisée.
—- Je te jure, fit-elle entre ses dents serrées, je jure de te venger ! Devant Dieu qui m'entend, j'en fais le serment solennel !
La messe était finie. Le prêtre maintenant disait l'absoute. Les nuages de l'encens entouraient l'homme agenouillé qui, déjà, pour tous, avait cessé de vivre. Puis l'eau sainte tomba sur lui et la dernière bénédiction. Et, soudain, le cœur de Catherine tressaillit de souffrance. La voix d'Arnaud s'élevait sous la voûte noircie. Il chantait et c'était le chant de sa propre mort.
— Aie pitié de moi, Seigneur, dans ta grande bonté ! En ta miséricorde immense, efface mon forfait. Lave-moi, lave-moi encore de mon iniquité, purifie- moi de mon péché, car je connais ma faute, et mon péché, toujours, est devant moi !
Détourne
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