Ben-Hur
plusieurs stades ; sur ses côtés elle allait se dégradant doucement, se confondant avec l’obscurité de la nuit.
Cela dura pendant quelques minutes, et chez ceux qui considéraient ce phénomène extraordinaire, l’étonnement se changeait en crainte. Les plus timides tremblaient, les plus braves parlaient au souffle.
– Vit-on jamais chose semblable ? demanda quelqu’un.
– Je ne saurais dire ce que c’est, jamais je n’entendis parler de rien de pareil, répondit une voix. On dirait que cette lumière repose sur la montagne.
– Ne serait-ce point une étoile tombée du ciel ?
– Quand une étoile tombe, elle s’éteint.
– J’ai trouvé, moi ! Les bergers ont vu un lion et ils ont allumé des feux pour l’empêcher d’approcher du troupeau.
Les hommes debout à côté de celui qui venait de parler poussèrent un soupir de soulagement.
– C’est cela, c’est cela, dirent-ils, les troupeaux paissaient aujourd’hui dans cette direction !
Un des assistants ébranla leur assurance.
– Non ! non ! Quand même toutes les forêts de Juda brilleraient, elles ne projetteraient pas une lueur si intense, ni si haute.
– Frères, exclama un Juif à l’aspect vénérable, ce que nous voyons maintenant, c’est l’échelle que notre père Jacob vit en songe. Béni soit l’Éternel, le Dieu de nos pères !
CHAPITRE V
Les collines qui s’élèvent au-delà de Bethléem abritent contre les vents du nord une plaine, plantée de sycomores, de chênes verts et de pins, d’oliviers et de ronces, où paissaient alors les troupeaux. À l’extrémité de cette plaine, opposée à la ville, s’élevait une fort ancienne bergerie, qui n’était plus guère qu’une ruine sans toit, entourée d’un enclos dans lequel les bergers avaient coutume de rassembler leurs troupeaux vers le soir.
Le jour même où Joseph et Marie arrivaient à Bethléem, quelques bergers, au coucher du soleil, se dirigeaient vers cette bergerie. À la nuit close, ils allumèrent un feu près de la porte, prirent leur repas du soir et s’assirent pour se reposer et causer, tandis que l’un d’entre eux montait la garde. Ils étaient six, sans compter celui qui veillait. Comme ils ne portaient habituellement pas de coiffures, leurs cheveux se dressaient sur leurs têtes en touffes épaisses et rudes, leurs barbes incultes descendaient jusque sur leurs poitrines. Des manteaux, faits de peaux de moutons, tournés la toison en dedans, les couvraient des pieds à la tête et ne laissaient de libre que leurs bras ; de larges ceintures retenaient ces vêtements grossiers autour de leur taille ; leurs sandales étaient sordides. À leur côté pendaient des gibecières, contenant du pain et des pierres soigneusement choisies, pour les frondes dont ils étaient armés. Près de chacun d’eux gisait le bâton recourbé qui symbolisait leur charge, en même temps qu’il leur servait à se défendre.
Tels étaient les bergers de Judée, des hommes en apparence aussi féroces que les chiens couchés avec eux autour du feu, en réalité des êtres simples d’esprit et tendres de cœur, ce qui tenait en partie à la vie primitive qu’ils menaient, mais surtout à ce qu’ils étaient sans cesse occupés à soigner des agneaux doux et faibles.
Ils se reposaient et causaient. Ils parlaient de leurs troupeaux, un sujet que d’autres eussent jugé monotone, mais qui, pour eux, représentait l’univers. Pourtant ces hommes simples et rudes étaient aussi des croyants et des sages. Les jours de sabbat, ils se purifiaient et se rendaient à la synagogue, où ils s’asseyaient sur les bancs réservés aux pauvres et aux humbles, et nul ne prêtait au service plus d’attention qu’eux, ou n’y songeait davantage durant la semaine. Ils savaient une chose, c’est que l’Éternel était leur Dieu et qu’ils devaient l’aimer de tout leur cœur, et ils l’aimaient, puisant dans cet amour une intelligence des choses spirituelles qui dépassait celle des rois de la terre.
Peu à peu leurs voix se turent, et avant que la première veille fût passée, tous dormaient autour du feu. La nuit, comme la plupart des nuits d’hiver dans la région des collines, était claire et brillamment étoilée. Aucun vent ne soufflait. L’atmosphère était d’une si parfaite limpidité, le silence si profond, qu’on eût dit que le ciel se penchait vers la terre pour lui annoncer tout bas de mystérieuses
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