Ben-Hur
après avoir considéré pendant un moment l’orgueilleux pontife : Je suis convaincu maintenant. Ce que je vois a éclairé mon entendement et j’ai acquis l’assurance, l’assurance absolue, que celui qui s’en va là-bas est réellement, ainsi que le proclame l’inscription qu’il porte suspendue à son cou, – le roi des Juifs. Un homme ordinaire, un imposteur, un traître criminel, n’eut jamais pareille escorte. Regardez plutôt ! Voilà les nations, Jérusalem, Israël ! Là est l’éphod, ici la robe bleue à franges avec les grenades pourpre et les clochettes d’or, que l’on n’avait plus revus dans les rues depuis le jour où Jaddua s’en allait à la rencontre du Macédonien, – tout autant de preuves que ce Nazaréen est roi. Que ne puis-je me lever, afin de le suivre !
Ben-Hur l’écoutait avec une surprise profonde, et Simonide, comme, s’il se rendait compte tout à coup qu’il venait de se laisser aller à exprimer ses sentiments avec une chaleur qui ne lui était pas habituelle, dit d’un ton d’impatience :
– Parle à Balthasar, je te prie, et partons. La lie de Jérusalem va arriver.
– Qui donc sont ces femmes que je vois là-bas et qui pleurent ? demanda Esther.
Ils suivirent tous la direction qu’indiquait sa main et aperçurent quatre femmes en larmes. L’une d’elles s’appuyait sur le bras d’un homme qui ne laissait pas que d’avoir une certaine ressemblance avec le Nazaréen. Aussitôt Ben-Hur répondit :
– Cet homme est de tous ses disciples celui que le Nazaréen aime le mieux, celle qui s’appuie sur son bras est Marie, la mère du Maître ; les autres femmes sont des Galiléennes.
Esther suivit ce groupe éploré avec des yeux humides, jusqu’au moment où il disparut dans la foule. Il ne leur était pas facile de causer, car les clameurs de la populace qui défilait devant eux n’auraient pu se comparer qu’au bruit du choc impétueux des vagues sur les galets du rivage des mers. Cette plèbe ressemblait à celle qui, trente ans plus tard, soulevée par les factions, ruina de fond en comble la sainte cité. Elle était aussi nombreuse, aussi fanatisée, aussi altérée de sang, et renfermait les mêmes éléments. C’était un ramassis d’esclaves, de chameliers, de vendeurs de fruits, de légumes, ou de vin, de prosélytes et d’étrangers, des plus vils d’entre les servants du temple, de voleurs, de brigands, enfin de milliers de gens n’appartenant à aucune classe. En des occasions semblables, ils sortent on ne sait d’où, misérables, affamés, sentant l’odeur des cavernes et des tombeaux, êtres sordides à demi-nus, vrais animaux de proie, dont les hurlements ressemblent à ceux des lions du désert. Quelques-uns avaient des épées, d’autres, plus nombreux, brandissaient des lances et des javelots, mais les armes de la plupart d’entre eux étaient des massues, des bâtons noueux et des frondes, pour lesquelles ces hommes ramassaient des pierres qu’ils portaient dans de petits sacs, ou simplement dans le pan retroussé de leurs tuniques en loques. Au milieu de cette foule, on reconnaissait ça et là quelques personnages de haut rang, – scribes, anciens, rabbis, Pharisiens aux robes bordées de hautes franges, Saducéens en beaux vêtements, qui figuraient là en qualité d’incitateurs. Lorsqu’ils étaient fatigués de pousser un cri, ils en inventaient un autre ; lorsque leurs poumons refusaient leur service, ils s’arrêtaient un moment pour reprendre de plus belle, et dans cette clameur bruyante et continue l’on distinguait quelques phrases, sans cesse répétées : Roi des Juifs ! – Place pour le Roi des Juifs ! – Contempteur du temple ! – Blasphémateur ! – Crucifiez-le, crucifiez-le ! Ce dernier cri paraissait être particulièrement en faveur, probablement parce qu’il exprimait plus distinctement les désirs de cette tourbe, et lui servait à affirmer clairement sa haine du Nazaréen.
– Venez, dit Simonide, lorsque Balthasar fut prêt à partir, venez, il est temps que nous nous remettions en route.
Ben-Hur ne l’entendit pas. L’aspect de cette populace, sa brutalité, ses instincts sanguinaires, lui remettaient en mémoire la douceur du Nazaréen et les actes d’amour qu’il l’avait vu accomplir envers des êtres souffrants. Il les repassait dans son souvenir ; tout à coup il vit se dresser devant lui la grande dette qu’il avait
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