Ben-Hur
bientôt tous réunis à l’abri de la maison ; ils échangèrent peu de paroles, craignant probablement de se confier les uns aux autres leurs pensées ; ils ne se sentaient plus certains de rien. Balthasar s’était glissé avec peine hors de sa litière et se tenait debout, soutenu par un de ses serviteurs. Esther et Ben-Hur étaient auprès de Simonide. Et le flot passait toujours, plus serré que jamais. Les clameurs retentissaient maintenant tout près, perçantes, rauques, cruelles. Enfin la procession arriva devant eux.
– Regardez ! dit Ben-Hur avec amertume, ce qui passe maintenant, c’est Jérusalem.
En tête marchaient une troupe de jeunes garçons, qui hurlaient et vociféraient : « Le roi des Juifs ! Place, place, pour le roi des Juifs ! »
Simonide, en les voyant défiler devant lui, dansant et tournoyant, comme un essaim de moucherons, dit gravement :
– Quand ceux-ci seront d’âge à recueillir leur héritage, fils de Hur, malheur à la cité de Salomon !
Un détachement de légionnaires, armés de pied en cap, les suivait ; ils marchaient avec une indifférence brutale, tout rayonnants de l’éclat de leurs boucliers d’airain.
Après eux, venait le Nazarée. Il était presque mort. Il chancelait à chaque pas, comme s’il allait tomber. Une robe souillée et déchirée retombait de ses épaules sur une tunique sans couture. Ses pieds nus laissaient des empreintes sanglantes sur les pierres. Une planchette, portant une inscription, était suspendue à son cou. Une couronne d’épines enfoncée sur sa tête lui avait causé de cruelles blessures d’où des ruisseaux de sang, maintenant noir et coagulé, avaient coulé jusque sur son visage et son cou. Ses longs cheveux, emmêlés dans les épines, en étaient imprégnés. Sa peau, là où on pouvait l’apercevoir, était d’une blancheur de cadavre. Ses mains étaient liées devant lui. Quelque part dans la ville, il était tombé sous sa croix qu’il portait selon la coutume imposée à un condamné, et un campagnard s’était chargé de ce fardeau, à sa place. Quatre soldats marchaient à ses côtés, afin de le protéger contre la populace qui, néanmoins, parvenait parfois à forcer la consigne, à le frapper avec des bâtons et à cracher sur lui. Et cependant aucun son ne s’échappait de sa bouche, aucune plainte, aucun gémissement ; il ne leva les yeux qu’au moment où il atteignit la maison derrière laquelle s’abritaient Ben-Hur et ses amis, tous émus d’une immense compassion. Esther se serrait contre son père, et lui, l’homme à la forte volonté, se sentait tout tremblant. Balthasar s’était laissé tomber à terre, incapable de prononcer une parole, et Ben-Hur lui-même s’écria :
– Oh ! mon Dieu, mon Dieu !
Alors, comme s’il devinait leurs sentiments, ou s’il avait entendu leurs exclamations, le Nazaréen tourna son visage défait de leur côté et leur jeta à chacun un regard dont ils devaient conserver le souvenir durant tout le reste de leur vie. Ils comprenaient qu’il pensait à eux et non point à lui, et que ses yeux mourants leur donnaient cette bénédiction qu’on ne lui aurait pas permis de prononcer.
– Où donc sont tes légions, fils de Hur ? s’écria Simonide.
– Anne te le dirait mieux que moi.
– T’auraient-elles abandonné ?
– Seuls ces deux hommes me sont demeurés fidèles.
– Alors tout est perdu et cet homme va mourir.
Le visage du marchand se contractait convulsivement pendant qu’il parlait, et il laissa sa tête retomber sur sa poitrine. Il avait pris sa part des travaux de Ben-Hur, il avait été soutenu comme lui par l’espoir qui venait de s’éteindre pour ne plus jamais se rallumer. Deux hommes, chargés de croix, suivaient le Nazaréen.
– Qui sont ceux-ci ? demanda Ben-Hur aux Galiléens.
– Des brigands destinés à mourir avec le Nazaréen, répondirent-ils.
Immédiatement après eux marchait fièrement un personnage mitré, vêtu des vêtements resplendissants d’or du souverain sacrificateur. Des capitaines du temple l’entouraient, derrière lui s’avançaient en bon ordre le sanhédrin et une longue file de prêtres, ces derniers dans leurs robes blanches serrées autour de leurs tailles par de larges ceintures aux brillantes couleurs.
– C’est le beau-fils d’Anne, dit Ben-Hur tout bas.
– Caïphe ! Je l’ai vu, répondit Simonide, qui ajouta,
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