Ben-Hur
contractée envers cet homme. Il se rappela le jour où des soldats romains le conduisaient, à ce qu’il croyait, à une mort certaine presqu’aussi horrible que celle de la croix, et l’expression divine de celui qui lui avait donné à boire près du puits de Nazareth. Il se rappelait son dernier bienfait, le miracle du jour où il entrait à Jérusalem acclamé par une multitude balançant des palmes devant lui, et le sentiment de son impuissance à rendre le bien pour le bien, à prouver sa reconnaissance, s’empara de lui avec une force accablante. Il s’accusait de n’avoir pas fait tout ce qui aurait été en son pouvoir, de n’avoir pas veillé avec ses Galiléens, de n’avoir pas su les garder, de telle sorte qu’ils fussent restés fidèles jusqu’à cette heure, en laquelle il aurait fallu agir, où une attaque bien dirigée disperserait la foule et délivrerait le Nazaréen. Et qui sait si cette délivrance ne serait pas en même temps le signal de ce soulèvement d’Israël qui était depuis si longtemps l’objet de ses rêves ? Mais le moment opportun allait lui échapper, et s’il n’en profitait pas tout serait perdu ! Dieu d’Abraham ! N’y avait-il donc absolument rien à faire ? À cet instant, il reconnut, non loin de là, quelques-uns de ses Galiléens. Il se précipita au travers des rangs du cortège et parvint à les rejoindre.
– Suivez-moi, leur dit-il, j’ai quelque chose à vous dire.
Ils obéirent, et quand ils se furent groupés derrière le coin de la maison, Ben-Hur reprit la parole :
– Vous êtes de ceux qui avez pris mes armes et qui êtes convenus avec moi de combattre pour la liberté et pour le roi qui allait paraître. Vous êtes encore en possession de vos épées et l’heure est venue de vous en servir. Allez, cherchez nos frères et dites-leur que je les attends au pied de la croix que l’on va dresser pour le Nazaréen. Hâtez-vous ! Qu’attendez-vous encore ? Le Roi, c’est ce Nazaréen, et la liberté va mourir avec lui.
Ils le regardaient d’un air respectueux, mais sans répondre.
– M’avez-vous entendu ? demanda-t-il.
Alors l’un d’entre eux lui répondit :
– Fils de Juda, si tu as été trompé, il n’en est pas de même de nous, ni du reste de nos frères. Le Nazaréen n’est point ce que tu crois, il n’a pas même le caractère d’un roi. Nous étions avec lui quand il est entré à Jérusalem, nous l’avons vu devant le Temple ; il s’est dérobé, il nous a fait défaut et non seulement à nous, mais à tout Israël. Devant la Belle Porte il a tourné le dos à Dieu, il a refusé le trône de David. Il n’est point roi et la Galilée n’est pas avec lui. Il faut qu’il subisse la mort. Mais écoute-nous, fils de Juda. Nous avons toujours tes épées et nous sommes prêts à les tirer et à combattre pour la liberté, aussi nous te rejoindrons sous la croix.
Ben-Hur était arrivé au moment suprême de sa vie. S’il avait accepté l’offre de ces hommes ; s’il avait prononcé la parole qu’ils attendaient de lui, l’histoire du monde aurait été peut-être différente, mais c’eût été une histoire ordonnée par les hommes et non point par Dieu, chose qui ne s’est jamais vue et ne se verra jamais. Il fut soudain saisi d’un sentiment de confusion qu’il ne s’expliquait point, mais que plus tard il attribua au Nazaréen, car lorsque celui-ci eut été élevé sur la croix, il comprit que sa mort était nécessaire pour fortifier cette foi en la résurrection, sans laquelle le christianisme ne serait qu’une chose vide de sens. Cette confusion le rendait incapable de rien décider, il restait là sans mouvement et sans paroles. Il couvrit son visage de ses mains ; il se livrait entre ses propres désirs et la puissance qui agissait au-dedans de lui, un conflit dont la violence secouait tout son être.
– Viens, nous t’attendons, lui dit Simonide pour la quatrième fois.
Il se mit machinalement à suivre le fauteuil du marchand et la litière de l’Égyptien ; Esther marchait à côté de lui. Comme Balthasar et ses deux amis, le jour où ils se rencontrèrent au désert, il obéissait à un mystérieux conducteur qui lui montrait le chemin.
CHAPITRE XLVI
Lorsque Balthasar, Simonide, Ben-Hur, Esther et les deux fidèles Galiléens atteignirent le lieu de la crucifixion, Ben-Hur marchait à leur tête. Il ne sut jamais comment il s’y était pris pour
Weitere Kostenlose Bücher