Ben-Hur
seul le chef restait assis sur sa plateforme, attendant avec un calme imperturbable les ordres du tribun. Il frappait toujours ses coups réguliers ; il les frappait en vain, mais donnait l’exemple de cette discipline sans égale, qui avait jusqu’alors conquis le monde.
Cet exemple ne fut pas perdu pour Ben-Hur ; il rassembla tout son sang-froid et chercha à se rendre compte de la situation où il se trouvait. L’honneur et le devoir retenaient ce Romain sur sa plateforme, mais lui, qu’avait-il à faire avec l’honneur ou le devoir, et s’il mourait en esclave, à qui cela profiterait-il ? Au contraire, le devoir, pour lui, consistait à vivre, sa vie appartenait à sa mère, à sa sœur ; il les voyait tendant les bras vers lui, implorant son secours, et à tout prix il voulait répondre à leur appel. Hélas ! il tressaillit en se rappelant que le jugement dont il portait le poids avait toujours force de loi et qu’aussi longtemps qu’il ne serait pas rapporté, il ne lui servirait de rien de fuir. Il n’y avait pas dans tout le vaste monde un endroit où le bras de l’empereur ne l’atteindrait pas, et jamais il ne pourrait habiter la Judée et se consacrer à la tâche à laquelle il voulait vouer sa vie, si la liberté ne lui était pas officiellement rendue. Dieu du ciel ! comme il avait attendu ce moment, comme il l’avait demandé dans ses prières et comme l’exaucement avait tardé ! Et maintenant que, grâce aux promesses du tribun, il croyait être près d’obtenir cette liberté, son bienfaiteur allait-il donc lui être enlevé ? S’il mourait, tout serait fini, pour lui aussi : les morts ne reviennent point pour tenir les promesses faites par les vivants. Mais non, cela ne serait pas ou, du moins, si Arrius devait périr, il partagerait son sort, préférant mille fois mourir que de continuer à mener l’existence d’un esclave.
Encore une fois, Ben-Hur regarda tout autour de lui. Sur le pont, la bataille continuait, la galère, serrée entre deux vaisseaux ennemis, courait à chaque instant le risque d’être écrasée. Les rameurs faisaient des efforts frénétiques pour se débarrasser de leurs fers et n’y réussissant pas, ils poussaient des hurlements de forcenés. Les gardes s’étaient enfuis, la discipline n’existait plus, le désordre régnait à sa place, partout, excepté sur la plateforme où le chef était toujours assis, fidèle à sa consigne. Ben-Hur lui jeta un dernier regard, puis il s’élança en avant, afin de se mettre à la recherche du tribun.
Il atteignit l’escalier d’un bond et déjà il entrevoyait le ciel, embrasé par la lueur des incendies, la mer couverte de vaisseaux et d’épaves, et le pont sur lequel les pirates semblaient être les plus nombreux, quand tout à coup la marche sur laquelle il se trouvait se déroba sous ses pieds et lui-même fut précipité sur le plancher de sa cabine, qui se soulevait et volait en morceaux. En même temps, tout l’arrière de la coque s’ouvrait et la mer, qui semblait avoir guetté ce moment, s’engouffrait dans le bâtiment en écumant et en bouillonnant.
Autour de Ben-Hur, tout était maintenant ténèbres. Il serait faux de dire qu’il faisait des efforts pour se maintenir sur l’eau, car malgré sa force extrême et l’instinct de la conservation, il avait perdu connaissance. Il tourbillonna un moment dans la cabine, puis le remous causé par le bateau qui s’enfonçait, le rejeta à la surface des flots, avec toutes sortes de débris flottants. Presque machinalement il en saisit un et s’y tint cramponné. Il lui semblait avoir passé une éternité au fond de la mer ; enfin il secoua la tête, se frotta les yeux et, après s’être assis sur la planche à laquelle il devait son salut, il essaya de distinguer ce qui l’entourait.
La mort qui l’avait cherché dans les flots, sans l’atteindre, n’abandonnait pas sa proie, il la voyait, revêtue de formes diverses, ramper autour de lui. Une épaisse fumée, dans laquelle les vaisseaux en flammes faisaient ici çà et là de brillantes trouées, traînait sur la mer, comme un brouillard. La bataille durait toujours, mais Ben-Hur n’aurait pu dire à qui la victoire appartenait. De temps à autre une galère passait près de lui ; plus loin il en voyait vaguement, qui se heurtaient les unes contre les autres, mais un danger plus imminent le menaçait. Au moment où l’ Astra sombrait, son propre
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