Ben-Hur
compatriotes ? Le cas était possible, probable même, et c’est pour cette raison, principalement, que les Romains enchaînaient, au moment du danger, ces pauvres êtres sans défense.
Mais ils n’avaient guère le temps de songer à toutes ces éventualités. Un grand bruit de rames attira l’attention de Ben-Hur ; l’ Astra ballotta pendant un moment comme si elle eût été entourée de vagues ; aussitôt il comprit qu’une flotte entière manœuvrait derrière elle et se rangeait en ordre de bataille.
À un second signal, toutes les rames retombèrent dans l’eau, et l’ Astra reprit sa marche en avant. Sur le pont, et dans l’intérieur du navire, chacun se taisait, et on se préparait à soutenir un choc : on eût dit que la galère elle-même se recueillait, comme un tigre prêt à bondir sur sa proie.
Dans une situation comme celle-là, il est difficile d’apprécier la durée du temps, aussi Ben-Hur ne se rendait-il pas compte du chemin qu’ils avaient parcouru, quand il entendit le son clair et longuement répercuté des trompettes. Le chef se mit à battre la mesure plus vite, les esclaves faisaient voler leurs rames, la galère frémissait sous leur effort, la fanfare, placée sur l’arrière-pont, redoublait d’éclat ; à l’avant, on entendait des voix tumultueuses, de plus en plus bruyantes. Tout à coup, une secousse violente fit tomber de leurs bancs plusieurs des rameurs, le bateau recula, s’arrêta, puis avança de nouveau, avec une force irrésistible. Des hurlements de détresse dominaient la voix des cuivres et l’on entendait un bruit sinistre, comme celui de quelque chose qui craque, se déchire et se brise. Au même moment, une clameur de triomphe retentit sur le pont, l’éperon de la galère romaine venait de couler bas un vaisseau ennemi. Mais qui donc étaient-ils, ceux que la mer engloutissait ? D’où venaient-ils et quelle langue parlaient-ils ?
Sans un instant de trêve, l’ Astra poursuivait sa course folle, et maintenant quelques matelots s’occupaient à imbiber d’huile les rouleaux de coton, qu’ils tendaient à leurs camarades postés au haut des escaliers ; le feu allait ajouter à l’horreur du combat. La galère penchait de telle façon que les rameurs dont les bancs se trouvaient adossés à la paroi opposée, se maintenaient à grand’peine en leurs places. De nouveau le cri de victoire des Romains s’éleva dans l’air, aussitôt dominé par des vociférations désespérées. Un bâtiment ennemi venait d’être soulevé au-dessus des flots par l’énorme harpon de la galère et précipité dans l’abîme.
Le vacarme augmentait de tous côtés ; de temps en temps on entendait un craquement lugubre, accompagné d’exclamations d’effroi, qui annonçaient qu’un navire venait de couler à pic, avec toute sa cargaison humaine ; mais la victoire n’était pas certaine encore, et souvent l’on apportait dans l’entrepont un Romain, encore revêtu de son armure et tout sanglant, ou même mourant ! Parfois aussi, des bouffées de fumée chargées d’une odeur de chair carbonisée s’engouffraient dans la cabine, et Ben-Hur, en respirant cet air étouffé, se disait qu’à quelques pas de lui des rameurs brûlaient, avec la galère à laquelle ils étaient inséparablement liés.
Tout à coup l’ Astra , qui n’avait pas cessé de marcher, stoppa. Les rames furent arrachées aux mains des rameurs et ceux-ci jetés à bas de leurs bancs : sur le pont on entendait un grand bruit de pas pressés et les deux parois du bateau craquaient d’une façon inquiétante. Au plus fort de la panique, un homme tomba, la tête la première, dans la cabine et vint s’affaler aux pieds de Ben-Hur. C’était un barbare du nord, au teint blanc, aux cheveux clairs. Que faisait-il donc là ? Une main de fer l’avait-elle arraché du pont du navire voisin ? Non, l’ Astra venait d’être abordée et la bataille se livrait maintenant sur son propre pont. Un frisson de terreur secoua le jeune Juif à la pensée du danger que courait Arrius. S’il était tué, avec la vie du tribun s’évanouirait pour toujours tout espoir de revoir sa mère, sa sœur, et dans sa détresse il s’écria : « Dieu d’Abraham, protège-le. »
Il jeta un regard autour de lui. La confusion était à son comble dans la cabine, les rameurs demeuraient immobiles et comme paralysés, des hommes affolés couraient ça et là ;
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