Ben-Hur
considérait comme étant supérieur à ses compagnons d’infortune, lui permettrait de donner essor à ses rêves d’avenir.
Il attendait avec anxiété l’instant où le chef arriverait à lui. Il entendait les fers grincer et il regardait le tribun, couché sur son lit, où il prenait quelque repos. Enfin son tour vint et il s’apprêtait à tendre son pied, avec le calme que donne le désespoir, lorsque tout à coup le tribun s’éveilla, s’assit et fit signe à l’officier d’approcher.
Une violente émotion s’empara du jeune Juif. Le grand homme le regardait, mais il n’entendit pas ce qu’il disait. N’importe, il lui suffisait de savoir que la chaîne traînait toujours à terre et que le chef avait repris sa place devant sa table. Les coups qu’il y frappait faisaient à Ben-Hur l’effet d’une musique enchanteresse, aussi ramait-il avec une vigueur toute nouvelle.
Le vaisseau avançait sur une mer dont aucun souffle ne ridait la surface ; tous ceux qui n’avaient rien à faire à bord dormaient, Arrius sur sa plateforme et les matelots sur le plancher.
Deux fois on relaya Ben-Hur, mais lui ne dormait pas. Après trois ans de ténèbres, le jour semblait prêt à poindre sur sa route. Ce qu’il entrevoyait était pour lui ce qu’aurait été la terre pour un marin, perdu sur la haute mer, ou la résurrection pour un mort. Dans un moment pareil, comment aurait-il pu songer à dormir ? L’espoir s’élance vers l’avenir en se servant du passé et du présent, comme de points d’appui ; celui de Ben-Hur avait sa source dans les faveurs du tribun, mais emportait le jeune homme vers des horizons lointains où le bonheur lui apparaissait non seulement comme une promesse, mais comme une réalité. Il voyait déjà ses souffrances effacées, il croyait posséder de nouveau son palais et ses biens, il lui semblait sentir autour de son cou les bras de sa mère et de sa sœur et il éprouvait un sentiment de félicité. Il ne s’arrêtait pas à la pensée de la bataille imminente, et la joie qui inondait son cœur était si complète qu’il n’éprouvait plus aucun désir de vengeance. Messala, Gratien, Rome, tous les souvenirs, pleins d’une amertume passionnée, qui s’attachaient à ces noms détestés étaient oubliés ; il planait bien au-dessus des misères de la terre, dans des régions sereines, où il entendait chanter les étoiles.
L’obscurité profonde qui précède l’aurore régnait sur les flots et tout allait bien à bord, quand un homme descendit précipitamment dans la cabine et vint éveiller Arrius. Il se leva, mit son casque sur sa tête et s’arma de son épée et de son bouclier, après quoi il s’avança vers le chef des matelots :
– Les pirates sont tout près de nous, que chacun se prépare au combat, lui dit-il, puis il monta sur le pont aussi calme et confiant que s’il se fût rendu à une fête.
Chacun s’éveilla sur la galère, et tous les officiers se rendirent à leur poste. Les soldats de marine, absolument équipés comme des légionnaires, montèrent sur le pont ; l’on préparait en hâte les javelots, les flèches, les provisions d’huile et de balles de coton, l’on allumait des lanternes, on remplissait d’eau de grandes outres. Les rameurs qui n’étaient pas de service restaient groupés autour de leur chef ; Ben-Hur se trouvait au nombre de ceux-là. Il entendait, au-dessus de sa tête, retentir le bruit des derniers préparatifs, les matelots déployant la voile, tendant des filets au-dessus du bastingage, mettant les machines en ordre ; puis le silence se fit sur la galère – ce silence qui précède la tempête.
Tout à coup, à un signal donné, les rames restèrent immobiles. Qu’est-ce que cela signifiait ? Parmi les cent vingt esclaves enchaînés aux bancs, il ne s’en trouvait pas un seul qui ne se posât cette question. Ils n’étaient encouragés au devoir par aucun sentiment de patriotisme, aucun désir de gloire et, certes, un frisson d’horreur pouvait bien les secouer, car le plus abruti d’entre eux savait qu’une victoire ne servirait qu’à river plus inexorablement sa chaîne, tandis que si le bateau venait à couler ou à brûler, il partagerait son sort.
Ils n’osaient s’informer de ce qui se passait au dehors, ni demander quel ennemi l’on allait combattre. Qui sait si l’un ou l’autre n’aurait pas reconnu dans ses rangs des amis, des frères, des
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