Ben-Hur
j’avais une habitude assez grande de l’entraînement, pour que tu pusses me confier tes chevaux et je me refusai à te raconter mon histoire ! Mais le hasard qui a fait tomber cette lettre entre tes mains est si étrange, que je me sens tenu de te mettre au courant de ce qui me concerne. J’y suis d’autant plus disposé que, d’après le contenu de ces lignes, j’apprends que nous sommes menacés par le même ennemi, contre lequel il est nécessaire que nous fassions cause commune. Je vais te lire cette lettre et je t’en fournirai l’explication, après quoi tu ne t’étonneras plus qu’elle m’ait causé tant d’émotion. Si tu m’as jugé faible ou lâche, tu m’excuseras quand tu sauras tout.
Le cheik écouta Ben-Hur en silence, jusqu’au paragraphe qui le concernait.
– Ah ! exclama-t-il d’une voix qui exprimait autant de surprise que de colère.
« Chez ce traître de cheik Ilderim, » répéta Ben-Hur.
– Traître ! moi ? cria le vieillard. Ses lèvres se contractaient, les veines de son front se gonflaient.
– Encore un moment d’attention, cheik, lui dit Ben-Hur, avec un geste suppliant. Telle est l’opinion que Messala a de toi, écoute maintenant la menace.
– À Rome ! moi, Ilderim, cheik de dix mille hommes de cheval, armés de lances, m’envoyer à Rome, moi !
Il bondit sur ses pieds, ses doigts recourbés comme des griffes.
– Ô Dieu ! – non, vous, tous les dieux, à l’exception de ceux de Rome, je vous le demande, quand cette insolence prendra-t-elle fin ? je suis un homme libre et libre est mon peuple. Faudra-t-il que nous mourions esclaves ? Ou, – ce qui serait pire encore, – devrai-je vivre pour ramper comme un chien aux pieds d’un maître ? Devrai-je lécher la main qui me frappera ? Ce que je possède ne m’appartiendrait plus, je devrais être livré, corps et biens, à un Romain ? Que ne suis-je jeune encore une fois, – que ne puis-je secouer de mes épaules vingt ans, ou dix ans – seulement cinq !
Il grinçait des dents et pressait sa tête entre ses mains, puis tout à coup, il saisit Ben-Hur par d’épaule.
– Si j’étais toi, fils de Hur, s’écria-t-il, si je possédais ta jeunesse, ta force, ton adresse et la moitié seulement des torts que tu as à venger, la moitié des souvenirs qui hantent ta mémoire, je ne voudrais, je ne pourrais demeurer un moment en repos. À tous mes propres griefs j’ajouterais ceux du monde entier et je me vouerais à la vengeance. Je m’en irais de pays en pays, soulevant les populations sur mon passage. Aucun peuple ne chercherait à s’affranchir de Rome par la guerre, sans me compter au nombre de ses combattants. Je me ferais Parthe, faute de mieux, et si les hommes m’abandonnaient, je ne me déclarerais pas vaincu, non, par la splendeur de Dieu ! Je me joindrais aux troupeaux des loups, je ferais des tigres et des lions mes amis et je ne désespérerais pas de leur apprendre à dévorer l’ennemi commun. Toutes les armes me seraient bonnes, je ne demanderais pas de quartier, je n’en accorderais pas davantage. Pourvu que mes victimes fussent des Romains, je prendrais plaisir à les torturer. Je les passerais par les armes et je vouerais aux flammes leurs propriétés. La nuit je prierais les dieux, les mauvais, aussi bien que les bons, de me prêter le secours des maux les plus terribles, la tempête, la foudre, la chaleur, le froid, tous les poisons sans nom qui flottent dans les airs, toutes les choses innombrables qui font mourir les hommes, sur terre et sur mer. Je ne dormirais pas un instant, je – je…
Il s’arrêta hors d’haleine, en se tordant les mains. Ce flot de paroles passionnées avait passé sur Ben-Hur en lui laissant l’impression vague qu’il venait d’assister à un accès de rage trop intense pour s’exprimer d’une façon intelligible. Pour la première fois depuis bien des années, quelqu’un l’avait appelé par son nom. Il existait donc un homme qui le connaissait, cet homme était un Arabe du désert.
– Bon cheik, lui dit-il enfin, comment cette lettre est-elle tombée entre tes mains ?
– Mes gens surveillent les routes, aux abords des cités, répondit Ilderim, ils l’ont enlevée à un courrier qu’ils ont arrêté.
– Sait-on que ces gens sont à toi ?
– Non. Ils passent pour des brigands et moi je suis sensé les poursuivre et les punir. Je t’ai dit ce que je ferais, si
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