Berlin 36
championne américaine blanche, je montrerai à l’opinion publique que mon problème n’est pas avec les Américains, mais avec les Nègres.
— Et le CIO ?
— Je me fiche du CIO !
Dix minutes plus tard, un officier nazi se présentait auprès de Helen Stephens.
— Le Führer souhaite vous rencontrer.
— Moi ? s’exclama-t-elle, étonnée.
— Oui, vous ! Il vous attend dans sa cabine privée, si vous voulez bien me suivre.
— Laissez-moi au moins le temps de me changer !
— Restez comme vous êtes.
Peu après, Fulton Flash se retrouvait face à Hitler. Entouré de sa garde rapprochée, il vint à elle, la salua d’une vigoureuse poignée de main et la félicita en allemand. Elle rougit sans rien comprendre de ce qu’il lui disait.
— Le Führer vous suggère de courir pour l’Allemagne, plaisanta Rudolf Hess qui parlait couramment l’anglais. Avec vos cheveux clairs, vos yeux bleus et votre musculature, vous ressemblez à une vraie Aryenne !
Helen lui répondit par un grand éclat de rire.
— Aimez-vous Berlin ? demanda Hitler.
Hess se chargea de la traduction.
— Oui, monsieur Hitler, bredouilla-t-elle. Berlin est très, comment dites-vous, schön, belle. Même sous la pluie !
— Le Führer pense que votre record de ce jour sera difficile à battre, reprit Hess.
— Je ne le crois pas : les records sont faits pour être battus !
— Le Führer vous invite à passer le week-end en sa compagnie, dans sa villa de Berchtesgaden.
Fulton Flash tressaillit. Un week-end en compagnie du Führer ? C’était mal la connaître : elle n’avait aucun goût pour les hommes. Elle se déroba :
— Désolée, mais je dois m’entraîner. Nous avons la course de relais lundi prochain. Dites au Führer que je le remercie mais qu’il m’est impossible d’accepter son invitation…
Hess traduisit à Hitler qui hocha la tête.
— Un autographe, s’il vous plaît, ajouta Helen en tendant au Führer un crayon et un bout de papier.
Le maître du III e Reich s’exécuta en souriant. Un photographe immortalisa la scène.
*
Allongé sur son lit, adossé à un oreiller, Jesse Owens relut la dernière page de son journal :
Le temps en Allemagne est bizarre. Le matin, le soleil brille merveilleusement et, tout à coup, il pleut. Je me suis bien entraîné aujourd’hui. Je me sens en pleine forme.
Il referma son carnet, puis se mit à parcourir son courrier en s’étonnant de voir la plupart des enveloppes déjà décachetées. Il y avait là une lettre de Ruth – qui l’émut aux larmes – et un télégramme de Martin L. Davey, gouverneur de l’Ohio :
J’ai le plaisir de vous transmettre les félicitations du peuple de votre Etat pour vos brillantes performances aux jeux Olympiques.
Jesse secoua la tête. Fallait-il une médaille d’or aux J.O. pour que le peuple de l’Ohio reconnût enfin qu’un Noir valait un Blanc ? Il se souvint de cet hôtelier raciste qui avait refusé de le recevoir, de ce campus universitaire où les Negros étaient indésirables – tout comme les Juifs en Allemagne, et cette comparaison, pour hardie qu’elle fût, lui traversa l’esprit comme une évidence –, des humiliations infligées à son père, aussi bien à Oakville qu’à Cleveland, et il se dit que ce télégramme-là était la preuve que la question raciale commençait à évoluer dans son pays. On frappa à la porte. Jesse rangea son courrier et, sans prendre la peine de s’habiller, ouvrit.
— Miss Holm ! s’exclama-t-il, surpris.
Eleanor le gratifia de son plus beau sourire et pénétra dans sa chambre, parfaite dans son short moulant et sa chemise blanche transparente qui laissait deviner la beauté de ses seins.
— Quel bon vent t’amène ? lui demanda-t-il en enfilant hâtivement son survêtement.
— Tu es devenu la coqueluche des Allemands, observa-t-elle en riant. Dehors, c’est l’émeute. Tout le monde veut te voir, te toucher, c’est incroyable ! Je dois absolument recueillir tes impressions pour l’Associated Press, une sorte de lettre ouverte aux Américains.
— Une lettre ouverte ? répéta-t-il en l’invitant à s’asseoir sur son lit.
— Oui ! Quel message adresserais-tu à ton peuple après les victoires que tu viens de remporter ?
Jesse s’assit à côté d’elle et, fermant les yeux, réfléchit un instant. Se décidant enfin, il lui dicta un court texte qu’elle s’empressa de
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