Berlin 36
de police de Berlin.
— Où voulez-vous en venir ?
Baumeister croisa les bras et plongea son regard sévère dans les yeux de la journaliste.
— Je veux en venir au fait qu’il serait dommage que vous connaissiez le même sort que lui. Notre patience a des limites, Fräulein Lagarde. Dès que les Jeux seront terminés et que la presse étrangère aura quitté le pays, les journalistes indisciplinés comme vous devront rendre des comptes. Certains seront interdits de séjour en Allemagne et expulsés, d’autres seront peut-être jugés…
— Je n’aime pas vos menaces, répliqua Claire. Je ne fais que mon métier. Seule la vérité m’intéresse !
— Mais la vérité est toute relative ! Rappelez-vous la fameuse question de Ponce Pilate dans l’Evangile : « Qu’est-ce que la vérité ? » Votre vérité n’est pas forcément la nôtre… Et puis, il y a des vérités nuisibles qu’il vaut mieux taire.
La Française réprima un sourire. Elle ignorait qu’un inspecteur de la Gestapo fût capable de citer autre chose que des extraits de Mein Kampf.
— En ne disant pas la vérité, nous imitons Ponce Pilate justement, répliqua-t-elle. Et par notre lâcheté, notre silence complice, nous crucifions des milliers d’innocents !
— Vous vous égarez, Fräulein Lagarde. Tout ce que je vous demande, c’est de cesser vos attaques contre le régime. Concentrez-vous sur le sport puisque votre journal est un quotidien sportif. Sinon…
Claire l’interrompit d’un ton sec :
— Sauf le respect que je vous dois, je ne céderai pas à votre chantage.
Pris d’une exaspération subite, Baumeister se leva et, pointant l’index en direction de la Française, grommela entre ses dents :
— Vous ne perdez rien pour attendre : dorénavant, je m’occuperai personnellement de vous !
10
Où l’on voit Goebbels savonner Leni Riefenstahl
— Vous gênez, vociféra le juge arbitre, dégagez !
Guzzi Lantschner, qui filmait les athlètes en compétition durant l’épreuve du lancer de marteau, sursauta. Comment pouvait-on le traiter ainsi ?
— C’est pour le film de Leni Riefenstahl, protesta-t-il. Nous avons toutes les autorisations nécessaires !
— Je m’en fous ! Emportez votre matériel et videz les lieux sur-le-champ !
Guzzi battit en retraite. Il rangea sa caméra et alla trouver sa patronne. A sa mine renfrognée, elle comprit que quelque chose de grave venait de se produire.
— Que se passe-t-il ? Des ennuis techniques ?
— Non, le juge m’a chassé !
— Quel juge ? s’exclama Leni, les yeux exorbités.
— Celui du lancer de marteau.
— Je m’en vais lui dire deux mots !
Comme une furie, elle partit en courant et se précipita sur le coupable qu’elle interrompit en pleine action.
— De quel droit arrêtez-vous le tournage, espèce de porc ?
— Surveillez vos propos, Fräulein Riefenstahl, répliqua le juge en levant l’index. Il nous est insupportable d’être gênés par vos techniciens… Laissez-nous faire notre travail !
— Et vous, laissez-nous faire le nôtre !
— Je n’ai pas d’ordres à recevoir de vous. Et je m’en vais déposer une plainte contre vous pour injures !
— Osez et je vous traîne par les oreilles jusqu’à la loge du Führer !
Craignant l’escalade verbale, Guzzi jugea opportun d’intervenir :
— Calme-toi, Leni. Je me reculerai pour filmer, ce n’est pas grave…
— Si, c’est grave, hurla-t-elle. Je ne peux plus travailler dans ces conditions !
Sans tarder, Leni alla trouver Goebbels dans son bureau au ministère.
— Ce qui se passe est inadmissible, commença-t-elle, furieuse, sans le saluer.
Le ministre garda son sang-froid. Il savait la cinéaste émotive et ne souhaitait pas une nouvelle dispute dont les échos, à n’en pas douter, parviendraient au Führer.
— Ce sont vos agissements qui sont intolérables, répliqua-t-il, les mains croisées derrière la nuque. L’incident avec le juge est honteux. De quel droit insultez-vous ce pauvre homme ?
— Savez-vous comment il m’a traitée ? Nous avions un pacte, respectez-le !
— Le pacte stipule que vous filmiez sans gêner le travail des juges. Or, ce n’est plus le cas.
— C’est faux, tempêta-t-elle. J’ai renoncé à de nombreux équipements sophistiqués pour ne pas vous contrarier. N’exagérez pas !
— C’est vous qui exagérez, Fräulein Riefenstahl. Vous n’êtes pas sans savoir
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