Berlin 36
amicale dans le dos :
— Merci, champ !
Le jour même, à 16 h 30, la finale de l’épreuve de saut en longueur se déroula dans un stade comble. Averti du succès probable de Luz Long, Adolf Hitler s’installa dans la tribune officielle au milieu des acclamations. Jesse Owens se présenta devant le sautoir. « Ne plus mordre, surtout », se dit-il, bien déterminé à ne pas réitérer les erreurs du matin.
Au premier essai, Luz Long, soutenu par cent mille spectateurs, franchit 7,54 mètres. Le Japonais Tajima réussit 7,65 mètres. Owens s’élança à son tour, s’envola et atterrit à 7,74 mètres.
Au deuxième essai, Long progressa et réalisa un bond de 7,74 mètres. Owens répliqua par un saut de 7,87 mètres.
Au troisième, l’Allemand réussit 7,84 mètres ; l’Américain se contenta de 7,75 mètres.
Au quatrième, Long fit un saut de 7,73 mètres ; Owens mordit.
Au cinquième essai, Luz Long fit un bond de 7,87 mètres, pulvérisant le record d’Europe de la discipline. Sûr de sa victoire, il sortit de la fosse de réception, se dirigea vers la loge présidentielle, se mit au garde-à-vous et leva le bras droit en direction du Führer qui répondit à son salut avec le sourire. Devant les caméras de Leni Riefenstahl, Owens prit alors position en bout de piste. Il se courba, essuya ses mains moites sur ses hanches, leva le coude gauche en arrière, regarda fixement devant lui et s’élança. Arrivé à la limite de la planche d’appel, il bondit à cloche-pied, s’envola comme d’un tremplin, plana, les bras levés, la jambe gauche en avant, suivie de la droite, comme s’il pédalait en l’air, puis, les bras et les jambes en avant, atterrit à 7,94 mètres. Ses pieds s’enfoncèrent dans le sable, il se laissa basculer.
La foule retint son souffle. Luz Long fit une dernière tentative, mais, déstabilisé par la puissance de son adversaire, rata complètement son appel. Survolté, Owens termina en beauté avec un bond prodigieux de 8,06 mètres. Le stade se tut. « Est-ce par respect ou incrédulité ? » se demanda Leni en filmant le silence.
C’est alors que l’Allemand, dans un magnifique geste de fair-play, s’avança vers l’Américain, lui serra la main et l’entraîna vers les tribunes. « Jez Owens ! Jez Owens ! », scanda-t-il en faisant signe à la foule de l’imiter. Cent mille spectateurs debout hurlèrent aussitôt après lui : « Jez Owens ! Jez Owens ! » Leni Riefenstahl se pinça pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas.
Au moment de recevoir sa médaille, Jesse Owens monta sur la première marche du podium. En survêtement blanc, la tête cerclée d’une couronne de feuilles de chêne, il écouta fièrement l’hymne national américain en faisant le salut militaire. Sur la deuxième marche, Luz Long exécuta le salut nazi. De son promontoire, Jesse chercha Hitler du regard : il ne le trouva pas.
8
Où l’on voit Hitler congratuler une « Aryenne »
et Jesse Owens lui répondre sur le terrain
— Ce que je craignais est en train d’arriver. Je ne veux pas être obligé de serrer la main à des Nègres. Ils sont en train de tout gagner parce qu’ils bénéficient de la force physique de l’homme primitif. A l’avenir, il faudra empêcher cette concurrence déloyale en interdisant les Jeux aux athlètes de couleur !
Assis dans sa cabine privée située derrière la loge présidentielle, le Führer fulminait.
— Mais vous ne pouvez pas féliciter certains champions et refuser de féliciter les autres, objecta Rudolf Hess en haussant les épaules. Le CIO vous reproche déjà d’avoir convoqué le champion allemand Hans Woellke pour le féliciter pour sa médaille d’or dans l’épreuve du lancer du poids ; il considère qu’un tel favoritisme est contraire au protocole olympique.
— Que le CIO se mêle de ce qui le regarde, répliqua le Führer d’un ton sec. Je féliciterai qui je veux et quand je le veux !
Il alluma une cigarette et, après un moment de réflexion, demanda à son ministre :
— Avez-vous vu courir cette Américaine, comment s’appelle-t-elle déjà ?
— Helen Stephens.
— Oui, oui, Helen Stephens. Elle a si brillamment remporté l’épreuve du 100 mètres. Quelle énergie, quelle puissance ! Le type même de la femme aryenne… Il faut absolument que je la rencontre. Quel âge a-t-elle ?
— Dix-huit ans, je crois.
— Très bien. En félicitant une
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