Borgia
et d’Angelo commença à voix basse et dura fort longtemps. Vers midi, Lucrèce entra chez son père. C’était l’heure où elle allait généralement le voir. Elle égayait le repas du vieux Borgia.
Ce jour-là, le pape paraissait plus sombre encore que d’habitude. Lucrèce s’enquit de sa santé, évita de parler des terreurs que son père avait manifestées la nuit précédente, fit changer le coussin qu’il avait sous les pieds sous prétexte qu’il n’était pas assez moelleux.
– Mon père, je vous ai ménagé une surprise.
– Laquelle ? demanda le pape avec inquiétude.
– Vous n’avez personne pour vous faire la lecture et cela vous ennuie…
– M’aurais-tu trouvé un bon lecteur ?… Que n’ai-je pensé à emmener cet excellent Angelo… Il me manque…
– J’ai fait mieux que de vous trouver un lecteur… j’ai envoyé un messager à l’abbé Angelo pour lui dire de venir vous retrouver ici…
– Ah ! Tu es vraiment ma consolation, ma pauvre Lucrèce !… Et quand arrivera-t-il ce brave Angelo ?
– Il est arrivé, mon père !
En même temps, Lucrèce frappa sur un timbre avec un petit marteau. L’abbé Angelo parut et alla s’agenouiller devant le vieillard qui esquissa une rapide bénédiction.
LXIV – LA LISEUSE DE PENSÉES
Comme on l’a vu, Giuseppo, le patron de la Stella, avait débarqué Rosa Vanozzo et l’abbé Angelo à une lieue environ du château de Lucrèce. Tous les deux prirent rapidement la direction du château, en passant par la route qui longeait la côte. Ils arrivèrent à cette agglomération de cabanes de pêcheurs, que nous avons signalée. Rosa Vanozzo s’arrêta devant l’une de ces cabanes.
– C’est ici qu’il faudra venir me chercher quand il en sera temps, dit-elle. Continuez votre chemin jusqu’au château. Moi, je reste ici.
L’abbé nota soigneusement la cabane qui était la troisième en venant du château, puis s’enfonça dans la nuit…
Dans la cabane du pêcheur indiquée par Giacomo, Spadacape avait reconnu la vieille femme qu’il avait vue à bord de la Stella et Ragastens avait reconnu en elle l’étrange protectrice de la petite Fornarina.
Lorsque Ragastens et Spadacape entrèrent dans la pauvre cabane, la Maga n’eut pas un geste. Pourtant, dès le premier coup d’œil, elle avait reconnu Ragastens. Après avoir longtemps vécu d’amour, elle vivait maintenant de sa haine : une haine farouche et patiente et obstinée.
Le pêcheur qui avait introduit les deux hommes dans sa cabane examina un instant Ragastens.
– Ici, dit le pêcheur, vous serez en sûreté. Nul ne viendra vous y déranger. Je vous montrerai votre chambre qui est assez cachée pour qu’on ne puisse vous y trouver au cas où l’on vous chercherait. Je vous prierai de témoigner à Giacomo que j’ai fait selon ses volontés.
– Je n’y manquerai pas ! dit Ragastens. Et cela ne tardera guère car, au moment où je me suis mis en route pour venir ici, Giacomo quittait Rome pour faire également voile vers Caprera.
À ces mots, Rosa Vanozzo releva la tête.
– Giacomo vient ici ? demanda-t-elle.
– Oui, madame…
– Bien !
Et elle reprit son immobilité première.
– Ne me reconnaissez-vous pas, madame ? fit Ragastens en s’approchant d’elle.
– Je vous reconnais.
Elle dit ce mot d’une voix moins âpre que sa voix ordinaire. Il s’y mêla quelque douceur : Ragastens était l’homme qui avait sauvé Rosita !… Elle le considéra une minute, d’un regard morne, et elle ajouta :
– Vous aussi, vous souffrez…
– À quoi voyez-vous cela, madame ?
– Je l’ai vu tout de suite, là-bas, dans la caverne de l’Anio… Je vous ai alors souhaité d’être heureux… Je vois que mon souhait ne s’est pas réalisé.
Ragastens demeura silencieux. La Maga prit un long temps :
– J’ai su par un abbé quelle avait été votre attitude à Monteforte… C’est vous qui avez arrêté l’effort de César… Et vous avez fait cela après que César vous eut offert auprès de lui une situation très belle. Pour moi, la vérité sur vous est très claire… Vous aimez la jeune comtesse…
L’œil atone de la vieille Maga s’était animé. Ragastens était muet d’étonnement : Rosa Vanozzo savait toujours tout !
– Êtes-vous venu la chercher ici ?…
– Oui, madame, si je suis venu à Caprera, c’est dans l’espoir de la retrouver…
– Vous craignez que Lucrèce
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