Borgia
veux que ce soit terrible. L’assassin, quel qu’il soit, du peuple ou de la noblesse, fût-il même quelque puissant seigneur, même un de nos parents, l’assassin subira le supplice dont j’ai dicté tout à l’heure l’ordonnance : il aura les ongles arrachés, la langue coupée, les yeux crevés, et demeurera exposé ainsi au poteau d’infamie jusqu’à ce que mort s’ensuive. Alors, on lui arrachera le cœur et le foie pour les jeter aux chiens, puis le cadavre sera brûlé et les cendres jetées au Tibre…, Cela te paraît-il suffisant, César ?… Parle !
César garda le silence. Il était seulement un peu pâle. Le pape reprit :
– Ah ! mon pauvre François ! Quand je songe que l’autre soir, plein de vie et de gaîté, il vint me trouver… et que je lui conseillai d’aller passer la soirée chez ta sœur Lucrèce… Ah ! maudit conseil… Car c’est sûrement en sortant du Palais de Lucrèce qu’il a été tué… pauvre François ! Si bon ! Si tendre !… Mon cœur en saigne… Mais tu ne pleures donc pas, César ?…
– Mon père, j’attends, pour vous parler de choses sérieuses que vous ayez fini de jouer la comédie…
– Per bacco ! Que signifie !…
– Cela signifie que la mort de François vous enchante ou sinon je ne comprends plus, moi !
– Malheureux enfant ! Comment peux-tu penser de pareilles abominations ! Tu outrages ma douleur !
– François vous gênait, mon père, reprit César en haussant la voix. Fourbe, lâche, imposteur, indigne de ce nom de Borgia qu’il portait, ennemi en secret de votre gloire et de votre grandeur, impuissant conspirateur, ne sachant ni aimer ni haïr, il nous déshonorait, mon père ! Sa mort est la bienvenue !
– Conspirateur ?… Tu dis qu’il conspirait ?…
– Vous le savez aussi bien que moi, mon père !
– N’importe ! Le crime est atroce et doit être puni ! Tu m’entends, César ?… Quoi qu’ait pu faire contre nous le pauvre François, il est intolérable que quelqu’un au monde ait osé porter la main sur un Borgia ! Un châtiment exemplaire doit apprendre à l’univers que les Borgia sont inviolables !
– Je suis de votre avis, mon père, dit froidement César. Aussi, je vous jure que l’assassin sera retrouvé : c’est moi-même qui m’en occupe !
– Alors je commence à me tranquilliser, César… Si après avoir réduit la noblesse et muselé le peuple, si après avoir dompté l’Italie et mis Rome dans une cage, nous laissons assassiner, ce n’est pas la peine d’avoir fait ce que nous avons fait !… Seul, un Borgia peut toucher à un Borgia !
– Mon père, votre sagesse est infinie et je m’incline humblement devant votre génie. François nous trahissait…
– La Providence l’en a puni avec une sérénité qui fait trembler de douleur mon cœur paternel…
– Maintenant que nous avons réglé la question des justes vengeances…
– Tu retrouveras l’assassin, n’est-ce pas, César ? Promets-le-moi pour me tranquilliser.
– C’est juré, mon père… et vous savez ce que valent les serments d’un Borgia… quand il y va de son intérêt !… Maintenant que cette question est réglée, je voudrais connaître un détail qui m’échappe…
– Parle, César.
– Vous avez dit que François conspirait, et que sa mort vous délivrait d’un danger.
– Per bacco ! C’est toi qui as dit cela !
– Oui, mais vous l’avez pensé. Mettons que vous l’ayez dit par l’intermédiaire de ma bouche…
– Soit, admettons-le… Après ?…
– Eh bien, mon père, achevez de m’éclairer : avec qui conspirait François ? Il est important que je le sache…
Le pape réfléchit quelques instants.
– Mon fils, dit-il enfin, il n’est que trop vrai que François avait fait alliance avec nos pires ennemis…
– Nommez-les, mon père !
– Te les nommer ! s’écria-t-il. Comme tu y vas ! Si je pouvais te les nommer, la besogne serait trop facile !
– Ainsi, vous ne savez pas le nom des conspirateurs ?
– Je sais que l’on conspire, voilà tout !… Je sais qu’on veut ma mort – et la tienne, César !… Je sais que les traîtres avaient mis leur confiance en ton frère François… que la divine Providence ait pitié de son âme…
– Songeons à nous, mon père !
– Juste, per bacco !… Et, à ce propos, il m’est venu une idée.
Les idées du pape étaient généralement funestes à ceux
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