Borgia
vous avez ma parole.
Les conjurés, étonnés de la simplicité, de l’assurance et de la noblesse qui éclataient dans les paroles et l’attitude du chevalier, s’inclinèrent.
Ragastens, avec une sorte de mélancolie douloureuse, reçut cet hommage de ces hommes intrépides. Il salua d’un grand geste et, d’un pas assuré, s’enfonça dans la galerie qui conduisait au tombeau.
Primevère, glacée, le vit s’éloigner lentement. Il lui sembla que la douleur de la mort de sa mère lui déchirait le cœur plus cruellement…
XIV – ÂME EN PEINE
Ragastens, lorsqu’il fut remonté à la surface de la terre, était livide, comme si, du tombeau de la Voie Appienne, il fût réellement sorti un mort. Quelque chose de nouveau et de profond venait d’entrer dans sa vie. C’était une poignante sensation de désespoir et un sentiment confus de joie orgueilleuse à peine perceptible.
Il allait à pas lents, entre les deux rangées de tombeaux, silencieux, s’interrogeant, cherchant à comprendre ce qui se passait en lui. Et sa pensée s’épandait en phrases hachées :
– Jadis, lorsqu’il m’arrivait de sentir battre mon cœur à l’aspect d’une femme, maintes fois, je me suis dit que j’aimais… Puis, en quelque cabaret, une querelle, un duel me faisaient oublier la femme aimée… J’étais libre alors… Libre de parcourir l’univers, avec la joie d’être partout chez moi !…
Il s’arrêta, essuya son front d’un revers de main. Puis il murmura :
– Libre !… Et seul !… Primevère ! murmura-t-il.
Et comme sa main crispée se posait, dans un mouvement machinal, sur ses yeux brûlants de fièvre, il sentit que cette main se mouillait… Oui !… Ragastens pleurait !…
XV – CONJONCTION
Ragastens rentra dans Rome.
Il se dirigea vers l’hôtellerie du Beau-Janus. Comme il longeait une rue qui le conduisait directement à l’auberge, son pied heurta quelque chose qui était étendu sur le pavé.
– Qu’est-ce que cela ? murmura-t-il en se baissant. Un homme !… Un ivrogne peut-être ?… Ou un blessé ?… Eh ! l’homme, éveillez-vous, que diable !…
Le chevalier se baissa davantage et secoua l’homme qui ne bougea pas.
– Le pauvre est dans un triste état, pensa-t-il. Cependant, il n’est pas blessé… mes mains toucheraient du sang…
À la lueur indécise du jour qui commençait à filtrer entre les toits, Ragastens constata alors que l’inconnu était un jeune homme aux cheveux ondulés châtain foncé, au front large et bombé, à la figure expressive ; ce jeune homme était simplement évanoui, car le chevalier, en posant sa main sur la poitrine, sentit nettement les battements du cœur.
Il jeta les yeux autour de lui et s’aperçut qu’il n’était pas à vingt pas du Beau-Janus. Alors, il souleva l’inconnu, le chargea sur ses épaules et l’emporta.
Réveillé par quelques coups de pied vigoureusement distribués dans la porte, maître Bartholomeo, l’aubergiste, s’empressa d’ouvrir et, tout en prodiguant les exclamations et les Santa Maria ! aida Ragastens à transporter le jeune homme, toujours évanoui, jusque dans la chambre du chevalier.
Là, l’inconnu fut déposé sur le lit. Ragastens et son hôte se mirent à le frictionner, à lui frapper dans les mains et à bassiner ses tempes avec de l’eau fraîche.
– Serait-il mort ? fit Bartholomeo… Mais, ajouta-t-il tout à coup, je le connais ! Il vient quelquefois ici boire un fiasco de vin blanc et manger une murène, avec un de ses amis. C’est un peintre. Il s’appelle Raphaël Sanzio…
– Enfin ! murmura-t-il.
Le jeune homme ouvrait les yeux. Rapidement, il revenait à la vie.
– Êtes-vous mieux, monsieur ? demanda Ragastens.
– Merci… Oui, mieux… beaucoup mieux… Qui êtes-vous, je vous prie ?
– Chevalier de Ragastens, homme d’épée.
– Et moi, Raphaël Sanzio, peintre… Je vous remercie de vos bons soins, monsieur… Mais qui m’a porté ici ?…
– Moi-même… Je vous ai trouvé dans la rue, étendu tout de votre long et ne donnant plus signe de vie… à vingt pas d’ici…
Raphaël passa ses deux mains sur son visage. Un soupir rauque comme un sanglot souleva sa poitrine.
– Quel épouvantable rêve ! murmura-t-il.
Ragastens, cependant, l’examinait avec une vive sympathie. Il eût voulu savoir pourquoi le jeune peintre s’était évanoui… il eût voulu pouvoir lui offrir son aide… car tout,
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