Borgia
dans l’attitude du jeune homme, dénonçait la violente douleur qui le bouleversait.
– Monsieur, dit-il à Raphaël, je vois à votre visage que quelque tourment d’importance est cause de l’état où je vous ai trouvé… Peut-être puis-je disposer… du moins pour quelques heures encore… d’une certaine influence… Si quelqu’un peut vous venir en aide dans le malheur que semble annoncer votre mine affligée, je serais heureux d’être ce quelqu’un…
– Oui, fit-il doucement, après examen, je vois que je puis me fier à vous. Je sens en vous un ami…
D’un même mouvement spontané les deux hommes se tendirent la main et leur étreinte cimenta la sympathie mutuelle qui naissait de cette aventure.
– Monsieur, s’écria Ragastens, puisque vous voulez bien m’appeler votre ami, disposez de moi, je vous prie, et dites-moi en quoi je puis vous être utile.
– Chevalier, dit-il, vous voyez en moi l’homme le plus malheureux de Rome…
– Auriez-vous donc l’infortune d’aimer et de ne pas être aimé ? demanda-t-il machinalement.
Raphaël secoua la tête.
– J’aime, répondit-il, et je suis aimé… Mais mon infortune n’en est peut-être que plus grande. Mais vous-même, monsieur… au son de vos paroles, je vois que votre cœur souffre autant que le mien…
Le visage de Ragastens se crispa dans l’effort qu’il fit pour contenir une larme prête à lui échapper.
– Ah ! monsieur, s’écria Raphaël en joignant les mains, je vous plains de toute mon âme…
– L’aventure est plaisante, fit-il… c’est vous qui souffrez… c’est vous qui avez besoin d’aide, et c’est moi qui me plains, qui me fais consoler !… Ne parlons pas de moi… D’ailleurs, avec le caractère que je me connais, dans quinze jours, lorsque je serai loin d’ici, lorsque j’aurai repris ma vie errante au grand soleil, je n’y penserai plus…
– Vous allez donc quitter Rome ?…
– Au plus tôt ! répondit sans hésiter le chevalier… À moins que je ne puisse vous être vraiment utile… et, en ce cas, je retarderai volontiers mon départ…
Ragastens parlait de bonne foi. Il était bien résolu à fuir. Et s’il ne s’avouait pas qu’il serait bien heureux de rester, de se raccrocher encore à quelque vague espoir, c’est que cette pensée, enfouie au fond de son cœur, ne se formulait pas encore en lui.
Raphaël reprit gravement :
– Je crois, monsieur, que votre secours me sera précieux… Pour lutter contre des ennemis que je ne connais pas, mais qui, sans doute, sont tout puissants, je suis seul… avec un ami… chez qui je me rendais…
– Parlez donc, en ce cas, et soyez sûr que mon aide ne vous défaut.
Raphaël se recueillit quelques instants. Il raconta tout à Ragastens : comment il était venu à Rome d’Urbin, sa ville natale, sur la recommandation du Perrugin, son maître. Comment il rencontra La Fornarina et celle qui l’avait recueillie. Il raconta son amour partagé, sa décision de prendre Rosita pour femme, celle de la Maga de précipiter, avant de fuir, ce mariage en secret. Il raconta ses préparatifs, dans la hâte de quitter Rome, son union à Rosita, à l’église des Anges, la nuit même. Au souvenir de la catastrophe qui suivit, Raphaël pâlit. L’angoisse mouillait son front.
– Courage ! lui dit Ragastens.
– Je vous jure qu’il m’en faut… Nous sortions de l’église, un peu après deux heures, et nous nous hâtions vers la porte Florentine où nous devions trouver une voiture lorsque, tout à coup, nous fûmes attaqués… Je reçus un coup violent à la tête et je perdis connaissance… Lorsque je revins à moi, Rosita avait disparu… Je courus chez la Maga… elle n’était plus dans la maison du Ghetto !…
– Et que supposez-vous ?…
– Le sais-je ! s’écria Raphaël en contenant son désespoir. Rosita a été enlevée… Je pense que c’est là le danger dont me parlait la Maga… Je pense que la Maga elle-même a dû être enlevée… Mais par qui ?… À quels ennemis ai-je affaire ?… Que veulent-ils ?… Voilà le problème que je retourne en vain dans ma tête… En sortant de chez la Maga, j’ai voulu aller retrouver l’ami qui m’avait préparé une voiture… Mais la douleur a surpassé mes forces…
Ragastens avait attentivement écouté ce récit. Sanzio en avait prononcé les derniers mots d’une voix à peine distincte. Ragastens lui prit les
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