Borgia
chambre en méditant.
– Je deviens vieux, pensa-t-il avec un sourire. J’ai tout compromis par ma précipitation… Baste ! Après tout, le premier coup est porté, c’est l’essentiel… Elle réfléchira.
Et, comme il arrivait dans son appartement et que l’abbé Angelo s’empressait au-devant de lui :
– À propos, dit-il, tu connais le gouffre de l’Anio ?
– Tout près du temple de la Sybille, oui, Saint… monsieur le comte.
– Tu peux me donner mon titre, maintenant : il n’y a plus d’inconvénient. Eh bien, Angelo, sur les bords du gouffre, il y a une espèce d’antre sauvage. Promène-toi donc un peu par là, tout à l’heure. Et assure-toi si cette caverne n’est pas habitée par une vieille femme, connue à Rome sous le nom de la Maga…
– Et si la vieille est là, Saint-Père ?…
– Tu lui diras qu’elle recevra cette nuit une visite…
XXX – PERPLEXITÉ D’UN JARDINIER
Ragastens et ses deux amis s’étaient installés à l’entrée de Tivoli, dans un coin écarté, en une auberge de pauvre apparence, à l’enseigne du Panier fleuri.
Le Panier fleuri, modeste et retiré, avait naturellement attiré l’attention de Ragastens. Dès que Spadacape eut mis les chevaux à l’écurie et que les trois amis se furent quelque peu restaurés, Ragastens sortit seul, à pied.
Il revint une heure plus tard, avec un paquet de vêtements sous son bras. Il disparut aussitôt dans la chambre qu’il occupait.
Pendant ce temps, Machiavel s’occupait de tracer, sur un papier, le plan de la villa du pape. Il l’avait visitée l’année précédente et en avait présente à la mémoire la disposition intérieure dans ses principales lignes.
Lorsque Ragastens reparut, il était transformé, presque méconnaissable. Il avait l’apparence et la tournure d’un de ces étudiants allemands qui, à cette époque, venaient assez souvent en Italie, pour puiser aux sources la science des Anciens.
– César lui-même ne me reconnaîtrait pas, dit-il. Je puis maintenant essayer d’aborder la place…
– Nous vous accompagnons, s’écria Raphaël.
– Non, mon ami… Il ne s’agit, pour aujourd’hui, que d’aller chercher des munitions, c’est-à-dire des renseignements. Ne craignez rien, lorsqu’il faudra livrer bataille, vous en serez, mordieu !
– Mais, ne puis-je vous aider dès aujourd’hui ? insista le jeune peintre qui bouillait d’impatience.
– Laissons faire le chevalier, intervint Machiavel.
– À la bonne heure ! Et, en attendant vous pouvez, tous les deux, vous préparer à la besogne qui sera rude…
– Avez-vous donc un plan pour enlever Rosita ?
– Non ! fit Ragastens… C’est un autre qu’il s’agit d’enlever…
– Un autre !… Qui donc ?…
– Le pape !
Et il sortit, laissant ses deux amis stupéfaits.
– Il a raison, dit enfin Machiavel. L’idée est admirable… En effet, morte la bête, morte le venin. Qui menace Rosita ? C’est le vieux Borgia. C’est donc lui que nous devons viser tout d’abord. Et il est certain que si nous parvenons à mettre la main sur lui, Rosita est sauvée du coup. Ah ! Raphaël, le chevalier est vraiment un homme précieux.
Ragastens, dans cette affaire, était peut-être plus admirable que ne le supposait Machiavel. Son cœur, à lui aussi, était plein d’amour et son esprit plein d’inquiétudes. Lui aussi aimait ! Et, pourtant, il ne disait rien.
Ses inquiétudes d’esprit et ses peines de cœur, il les tenait cachées. Seulement, il avait adopté vis-à-vis de lui-même un arrangement qui lui semblait concilier ses intérêts et ceux de son ami Raphaël.
– Tivoli, s’était-il dit, est sur la route de Monteforte. L’armée de César Borgia doit nécessairement passer par ici. Lorsque je verrai défiler les canons, les cuirasses et les estramaçons, je verrai… En attendant…
En attendant, Ragastens descendait à grands pas vers la villa du pape autour de laquelle il erra pendant le reste de la journée. En revenant, le soir, au Panier fleuri, il dit à ses amis :
– Voici un petit commencement de renseignements. Nous savons maintenant la force de l’ennemi : il y a, dans la villa et ses dépendances, cinquante gardes armés, plus une trentaine de laquais de tout ordre, plus une vingtaine de secrétaires, ecclésiastiques, seigneurs et évêques… Il est sûr que nous avons affaire à forte partie. Mais nous n’en aurons que plus de mérite,
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