Borgia
moins, pendu…
– Diable !… Pendu pour avoir laissé les pêches se piquer, pendu pour introduire dans le jardin celui qui, seul, peut sauver les pêches… l’alternative est dure.
– Hélas ! À qui le dites-vous ?…
– N’en parlons plus, vénérable maître… Après tout, peut-être arriverez-vous sans mon aide à préserver votre dernier espalier…
– Heu… J’en doute…
– Il est vrai que seul vous auriez su que j’étais entré ; il est vrai que je me serais parfaitement caché, et que le Saint-Père eût toujours ignoré cette légère infraction…
– Jeune homme, vous me tentez !…
– Il est vrai que je vous eusse non seulement préservé de la pendaison en sauvant les pêches menacées, mais encore rendu glorieux à jamais en vous faisant connaître la greffe admirable que j’ai inventée…
– Ah ! monsieur Pétrus, taisez-vous, taisez-vous !…
– Il est vrai enfin, que vous fussiez devenu possesseur d’inestimables secrets, mais puisque c’est impossible, n’en parlons plus !
– Jeune homme ! Je me décide : vous entrerez !
– À quoi bon vous exposer à une réprimande ? Car je ne crois pas, moi, le Saint-Père capable de vous pendre pour si peu…
– Puisque personne ne saura !
– C’est vrai ! Je me cacherai si bien que nul que vous ne me verra !… Mais votre conscience ? Ne vous reprochera-t-elle pas ce manquement à vos devoirs ? Tenez, n’en parlons plus !
– Dieu, que vous êtes naïf. Ne vous inquiétez pas de ma conscience… Il faut que vous entriez !
– Ma foi, puisque vous le voulez !…
– Écoutez, je suis logé dans un petit pavillon du jardin… Le soir, à huit heures, mes aides s’en vont ; ils logent dans les communs. Alors, je ferme toutes les entrées du jardin et personne ne peut plus entrer, excepté Sa Sainteté qui, parfois, vient se délasser parmi les fleurs des soucis de son pontificat. Ce soir, à dix heures, présentez-vous à la petite porte que vous apercevez là-bas… Je vous ferai entrer, et vous travaillerez la nuit… Le jour, vous demeurerez caché dans mon logis…
– J’accepte, pour vous rendre service, maître !
– En revanche, je vous ferai visiter en détail les jardins, et je vous ménagerai une occasion de voir le Saint-Père sans qu’il puisse vous voir…
– Ah ! vous comblez tous mes vœux !
– Ainsi donc, à ce soir, à la petite porte ?
Là-dessus, le bonhomme serra avec effusion les mains de Ragastens et se mit à descendre vers la villa pontificale, tandis que le chevalier remontait vers Tivoli, en s’efforçant de conserver une allure paisible pour ne pas trahir sa joie.
– Nous tenons le Borgia ! dit-il en arrivant au Panier fleuri. Attention à la manœuvre, mes amis. C’est ce soir que nous entrons en campagne…
XXXI – LE GOUFFRE DE L’ANIO
Non loin des ruines qu’on appelait et qu’on appelle encore dans le pays le temple de la Sybille, l’Anio, rivière torrentueuse qui descendait en grondant des montagnes, se précipitait dans un profond ravin. Les abords de ce ravin étaient à pic.
Au fond, on entendait le sourd mugissement de la rivière qui se brisait sur des rocs verdâtres, formait un petit étang, puis reprenait son cours en méandres capricieux qui se frayaient un passage parmi les masses de granit. C’était le gouffre de l’Anio.
En haut du ravin, juste au-dessus de l’étang formé par la chute de l’Anio, les rochers s’évidaient et dessinaient une caverne naturelle sur laquelle couraient dans le pays des bruits étranges. Pour la plupart, c’était l’une des portes de l’Enfer. Et la meilleure preuve – preuve irréfutable – c’est que des fumées d’une odeur particulière s’échappaient de temps à autre de cette caverne.
En somme, l’endroit était parfaitement suspect et nul homme de sens ne s’y fût aventuré à partir de la tombée de la nuit.
Ce soir-là, peu avant minuit…
Dans le fond brûle une torche de résine qui éclaire de lueurs fantastiques l’intérieur de la caverne. En un coin, il y a un tas de feuilles sèches servant de lit à la vieille femme qui, à cette heure, s’occupe d’un singulier travail. Cette vieille femme, c’est la Maga, ou plutôt, pour lui donner son vrai nom, Rosa Vanozzo. Elle vient de pousser un bloc granitique contre une sorte d’excavation qui se creuse tout au fond de la caverne.
– Bien, murmura-t-elle, l’entrée fonctionne…
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