Borgia
morbleu !…
Le lendemain, de bonne heure, il se remit en route vers la villa. Il avait, la veille, fait causer un domestique. Il espérait mieux, cette fois. Caché derrière une masse de rochers, abrité parmi les hautes touffes de fougères, il surveilla la villa et ses abords. Et, comme il était placé plus haut, sur le chemin de Tivoli, il put même entrevoir une partie des jardins de l’intérieur.
Il y avait une heure que Ragastens occupait ce poste, étudiant avec attention les allées et venues des gens qui entraient ou sortaient, quand il vit venir de son côté un vieillard qui marchait lentement, en s’essuyant le front. Cet homme venait de sortir de la villa par une petite porte du jardin qui ouvrait sur la route même de Tivoli.
– Voilà mon affaire, peut-être ! pensa Ragastens.
Il sortit aussitôt de son observatoire et se porta à la rencontre du vieillard qui portait un costume à demi bourgeois, à demi campagnard. Parvenu à sa hauteur, il le salua avec une politesse et un sourire tels que le bonhomme, surpris, s’arrêta.
– Guten morgen (bonjour), dit Ragastens. C’était, d’ailleurs, tout ce qu’il savait d’allemand.
– Non capisco, signor ! Je ne comprends pas, monsieur, répondit l’homme.
– En ce cas, je parlerai italien, reprit Ragastens en souriant et en écorchant de son mieux la langue de Dante, mais vous m’excuserez de m’exprimer si mal.
– Vous êtes donc étranger ?…
– Allemand, pour vous servir ! Allemand, me rendant à Rome pour diverses affaires et notamment pour tâcher de voir, ne fût-ce que de loin, l’illustre Saint-Père Alexandre Borgia, que Dieu le favorise !
Ragastens ôta sa toque. Le bonhomme en fit autant.
– Amen ! dit-il. Puis il reprit aussitôt :
– Mais, jeune homme, vous risquez fort de ne pouvoir satisfaire votre pieuse envie, car Sa Sainteté n’est pas à Rome…
– Ah ! quel malheur !… Moi qui viens de si loin… et à pied, encore !
– Le Saint-Père est ici, dans sa villa, dont il ne sort jamais.
– Comment le savez-vous ?… Auriez-vous donc le bonheur et l’honneur d’être de ses familiers ?
Le vieillard se redressa :
– Je suis le jardinier en chef de sa villa de Tivoli. Et je le vois presque tous les jours se promener dans les jardins.
– Jardinier ! s’écria Ragastens. Touchez là, monsieur ! C’est aussi l’art que j’étudie… Ah ! le jardinage… Art sublime dont les secrets se perdent de plus en plus !…
– Comment, jeune homme, fit le vieillard flatté d’entendre ainsi parler de son métier, vous aussi, vous cultiveriez la science des fleurs et des plantes ?
– C’est-à-dire que je n’ai jamais eu d’autre ambition, et je dois vous avouer qu’outre mon désir de voir l’illustre Saint-Père (ici, Ragastens ôta sa toque et le vieillard bredouilla un amen à tout hasard), ce qui m’a poussé à venir en Italie, c’est encore, c’est surtout le désir d’étudier ces superbes jardins dont la renommée est venue jusqu’en Allemagne, et entre autres, les jardins de Tivoli.
– Quoi ! On parle des jardins de Tivoli en Allemagne ?
– Monsieur, on en parle dans le monde entier !
Le bonhomme leva les yeux au ciel : il connaissait l’enivrement de la gloire ! Convaincu que ces jardins dont la réputation était universelle ne pouvaient être que ceux de la villa du pape – c’est-à-dire ses jardins à lui – il eut un sourire extasié.
– Ainsi, jeune homme, vous voulez être jardinier ?
– C’est là mon ambition, et j’ai tout lieu de croire que je ferai quelque progrès dans cet art que j’étudie déjà depuis plusieurs années…
– Savez-vous enter ?
– Oh ! la greffe n’a déjà plus de secret pour moi. J’ai transformé des poiriers en pommiers, je suis arrivé à faire donner des oranges à un citronnier…
– Peste ! Et les fleurs, jeune homme ?
– C’est mon fort. Je connais les deux mille espèces de roses, les trois cents familles de géraniums, l’âge d’un réséda, d’une citronnelle, d’un œillet, je vous dénombrerais les variétés du lis et les genres du pavot…
Le jardinier du pape écoutait, bouche béante.
– Ce jeune homme est un puits de science, se dit-il. Et les fruits, monsieur, les fruits ? ajouta-t-il.
– Oh ! les fruits, les fruits !…
– Auriez-vous négligé cette branche si importante de…
– Moi ?… Fi donc !… Les fruits !… Mais
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