Borgia
interrompit la jeune fille exaltée, je suis victime d’un crime de rapt… On m’a arrachée du bras de mon époux, mon jeune époux… Et j’ai été entraînée ici… Saint-Père, je demande justice ! Ou plutôt, je ne demande qu’une chose : qu’on m’ouvre les portes de cette maison, qu’on m’arrache à la surveillance de cette femme odieuse, qu’on me permette d’aller trouver mon mari, mon Raphaël qui m’aime… Saint-Père, vous le connaissez… vous lui avez témoigné votre bienveillance… Tout récemment encore, il était si heureux de vous porter son beau tableau de la Madone…
Rosita éclata en sanglots. Borgia l’avait à peine entendue. Mais ses yeux ne la quittaient pas. Il la dévora du regard. Il détailla les lignes idéales qu’il entrevoyait et, par l’imagination, arracha les voiles qui la couvraient. Un peu de sueur perla à son front. Il sentit le sang-froid lui échapper. Il se baissa, saisit la main de Rosita.
– Relevez-vous ! dit-il d’une voix qu’il croyait ferme, et qui tremblait à chaque mot, relevez-vous… Je ne puis vous voir à mes pieds.
Sa main, en touchant celle de la Fornarina, fut agitée d’un tremblement. L’étonnement de la jeune fille était inexprimable. Elle ne comprenait rien à l’attitude du pape. Des pensées confuses lui laissaient entrevoir d’effroyables vérités qu’elle repoussait de toutes ses forces. Doucement, elle dégagea sa main et s’assit, chancelante.
– Pardonnez-moi, Saint-Père, l’émotion me suffoque… J’ai tant souffert depuis quelques jours…
– Mon enfant, si vous voulez, vous ne souffrirez plus…
– Oh ! n’est-ce pas ?… Vous allez me laisser partir ?…
– Oui, certes… je vous le promets…
Rosita jeta un cri de joie folle. À son tour, elle saisit la main du pape et la porta à ses lèvres.
– Oh ! Vous êtes bon ! Je le savais bien que vous alliez me sauver ! Je vais pouvoir partir tout de suite ?
– Non, mon enfant, pas tout de suite… Il est nécessaire que vous passiez encore deux ou trois jours ici…
Rosita recula, blanche. Une idée, qu’elle avait d’abord rejetée, s’imposa à elle avec une violence irrésistible.
– Oh ! s’écria-t-elle, c’est vous qui m’avez fait enlever !… Vous !… Le pape !… Oh !…
Borgia perdit la tête. Brusquement, il marcha sur Rosita et lui saisit les deux poignets.
– Oui, c’est moi ! dit-il, à voix basse. C’est moi qui t’ai fait prendre. Oui, je suis le pape. Est-ce que tu oserais résister aux ordres du Souverain-Pontife ?…
Rosita ne répondit pas. Elle se cambra, horrifiée, cherchant à échapper à l’étreinte, à ce baiser qu’elle sentait tout proche de ses lèvres…
– Parle-moi, bégaya le vieux Borgia, ivre de passion déchaînée maintenant, parle-moi… Dis-moi seulement que je ne te fais pas horreur, que tu ne me hais pas… Laisse ! Oh ! laisse-moi seulement toucher tes cheveux du bout de mes lèvres !…
– Misérable ! haleta la jeune fille.
– Veux-tu être duchesse… princesse ? Je suis celui qui peut tout… Tu es à moi !…
Il y eut une courte lutte. Borgia, les yeux enflammés, la tête perdue, fit un dernier effort en bégayant :
– Tu es à moi… Je te tiens…
Tout à coup, il s’arrêta, stupide d’étonnement, effaré, muet : Rosita, souple et forte de son désespoir, venait de lui glisser d’entre les bras. Et, bondissant en arrière, elle lui avait arraché l’épée, la jolie épée de parade dont il avait orné son costume de cavalier.
– Saint-Père, dit froidement la jeune fille, si vous faites un pas vers moi, vous me rendez criminelle ; je vous tue…
Le calme extraordinaire avec lequel elle prononça ces mots démontra au pape que cette enfant était arrivée aux dernières limites de l’exaltation. Sa fièvre tomba du coup.
– Ne craignez rien, dit-il.
– Je ne crains plus, fit-elle en plaçant l’épée dans ses deux mains, comme un frêle rempart d’acier.
Borgia hocha la tête.
– Au revoir, dit-il. Nous reprendrons cette conversation, cara mia.
Elle le vit sortir, sans oser risquer un geste.
Quand elle fut seule, avec ce même calme farouche qui venait de la rendre si forte et si vaillante, elle brisa l’épée à quelques pouces de la pointe. Ce tronçon lui fit un stylet aigu. Alors, elle se prit à pleurer…
Le pape, ayant réparé tant bien que mal le désordre de son vêtement, regagna sa
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