Byzance
souffla du monde de l’esprit et les mots lui revinrent. Le cercle de pointes de lances autour de lui parut d’une beauté ineffable, comme un jardin de fleurs d’argent.
Dans la tempête des batailles
Nous ne cherchons aucun refuge
Derrière nos boucliers creux.
Comme me Va demandé jadis
La fille de haute naissance,
Je dresserai la tête
Quand les Walkyries voleront
Dans le fracas des épées et des crânes.
Quand il se tut, il n’entendit que le vent siffler dans ses oreilles.
* *
*
— Retenez-les, Styrkar ! Empêchez-les de contre-attaquer !
Le tapis grotesque d’Angles abattus s’étendait sur la colline au-dessous du mur de boucliers des hommes du Nord ; les ombres de la mort s’allongeaient sous le soleil couchant et commençaient à prendre une étrange vie, comme si de petits démons sombres voletaient au-dessus des cadavres. La cavalerie anglaise s’était lancée sur les défenses invincibles de Haraldr pendant plus d’un quart d’heure, au cours duquel la frénésie des hommes du Nord avait monté avec la violence soudaine d’un orage d’été. Les haches s’étaient mises à frapper les boucliers, en dépit des ordres des commandants. La rage spontanée d’hommes qui s’étaient bien défendus tout l’après-midi et aspiraient maintenant à l’attaque.
— Retenez-les, cria de nouveau Haraldr, mais il était déjà trop tard.
Le mur de boucliers se gonfla en un large museau, puis les tuniques claires, les lames d’acier et les casques scintillants s’élancèrent.
Rien ne pourrait plus arrêter ce suicide de masse. Le mur que les forces écrasantes des Angles s’étaient avérées incapables de battre en brèche venait de se briser sous l’effet de la même volonté qui l’avait maintenu intact tout l’après-midi. Le vacarme devint assourdissant tandis que cavalerie et infanterie anglaises se rassemblaient en un large front le long de la rivière. Même Styrkar et Tostig avaient disparu dans cet élan de rage. Au moment où les hommes du Nord chargèrent vers la Derwent, la formation anglaise tout entière parut se contracter, à la façon d’un organisme énorme se préparant à engloutir et à digérer l’attaque de l’adversaire. Bientôt, la masse des assaillants se trouva dispersée en poches isolées. Haraldr avait encouragé le culte de la bravoure parmi ses hommes, et maintenant les morts allaient être un hommage terrible à leur chef. Sur le plateau qui dominait la rivière couleur de cuivre, Haraldr comprit qu’il n’existait qu’un seul moyen de sauver l’héritage de la Norvège : faire suivre cette attaque condamnée par un assaut d’une violence si dévastatrice que le mur de boucliers pourrait se reformer. Il se retourna vers son cercle de karls, composé des soixante hommes les plus forts et les plus braves de tout le Nord. Aucune parole n’était nécessaire. Leurs regards fiers brillaient de la Rage de combattre. Il se demanda pendant un instant s’il était encore à la hauteur d’une telle passion juvénile. Puis il maîtrisa les craintes avec le réflexe de toute une vie. Trop d’hommes étaient partis avant lui, trop d’hommes l’attendaient pour que la mort contracte sa poitrine en cet instant.
* *
*
Le sanglier des hommes du Nord fonça vers la berge avec à sa tête le roi de Norvège ; les karls éventrèrent les rangs anglais et le dragon d’or au-dessus de la tête de Haraldr se rapprocha inexorablement du dragon d’or de Wessex qui claquait au-dessus du roi d’Angleterre. Mais Haraldr Sigurdarson n’avait plus que vaguement conscience de cet affrontement de destins. Il n’était plus sensible qu’au vent froid et noir du monde de l’esprit. Il ne sut jamais combien de temps il était resté dans les mondes inférieurs, seulement que sa quête dans les ténèbres avait été plus longue que jamais. Puis il en sortit, et il en sortit dans un monde silencieux, visible à travers une étrange lentille qui dispersait des images de drapeaux, de tuniques colorées et de lances à la pointe de diamant, pareilles aux tessères d’une mosaïque brisée, mais représentant tout jusqu’au moindre détail, avec une netteté absolue : le halo blanc sur le tranchant d’une épée brandie, les étincelles qui bondissaient comme de minuscules lucioles quand un javelot perçait une byrnnie d’acier.
Enfin Haraldr vit le dragon d’or de Wessex juste au-delà du gué pavé, à une centaine de coudées au sud du pont de
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