Byzance
Grecque.
C’était avant que je le connaisse. Peut-être n’est-ce qu’un de ces contes inventés par les scaldes.
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Le roi marcha tout seul pendant un long moment, comme s’il était attiré vers le pont de Stamford davantage par les papillons couleur de soleil que par les impératifs des armées impatientes dans son dos. Cette journée était sa vengeance, sa… résurrection. Il s’était souvent demandé, au cours de ces longues années, pourquoi le destin avait emporté Maria alors qu’il l’avait épargné. Les querelles constantes avec des jarls frondeurs ; la longue guerre amère et toujours indécise au Danemark ; la culpabilité qu’il éprouvait au sujet d’Elisevett – autant de circonstances qu’il n’aurait jamais connues s’il avait été seulement un homme et non un roi. Il avait si souvent songé à Halldor et à l’étrange renoncement de son ami, et il se demandait maintenant si Halldor n’avait pas été le plus sage de tous. Halldor ne s’était jamais remis de cette nuit du passé : le corps brûlé et brisé de la seule femme à qui il ait jamais fait l’amour n’avait cessé de le hanter. Halldor avait aidé Haraldr à reconquérir son trône, puis était reparti en Islande vivre paisiblement dans une ferme. Haraldr se demanda si Halldor avait déjà appris la nouvelle de la mort d’Ulfr. La route de la vie fait tellement de détours.
Et pourtant cette route débouchait sur un automne de gloire : cette journée réaliserait enfin ce dont Haraldr avait rêvé tant d’années plus tôt avec elle. Pour elle. Cet empire aurait été celui de Maria. N’avait-elle pas abandonné son héritage impérial pour se joindre à lui à une époque où la Norvège n’était encore qu’une promesse, en un renoncement qui lui avait valu la mort ? Il se demanda si elle l’approuvait en ce moment ; il savait que bien des fois au cours de toutes ces années elle ne l’avait pas approuvé. Cela aussi était un des sentiers étranges de la destinée : l’itinéraire que l’esprit de Maria avait suivi à travers la vie de Haraldr. Parfois, en tendant la main, il pouvait la toucher ; à d’autres moments, il ne parvenait même plus à se souvenir de sa voix. Jamais il ne pouvait la voir entièrement, mais il pouvait souvent se rappeler distinctement certaines parties d’elle : les iris incandescents, les sourcils en aile de mouette, le blanc très doux à l’intérieur de sa cuisse.
Il songea à l’autre Maria, qui avait pris la place de Maria dans sa vie. Elle était aussi claire et distincte devant lui que sa propre main : non pas la jeune femme qu’elle était devenue, mais le bébé, l’enfant, l’adolescente, à chaque phase de sa vie. Même la première Maria n’aurait jamais pu être aussi proche, avoir été créée par lui, pour devenir une femme qu’il observait dans l’émerveillement. Et pourtant sa fille Maria ne pourrait jamais partager avec lui l’intimité suprême que l’autre Maria lui avait offerte. Peut-être, se disait-il souvent, les deux Maria, la fille et l’amante, étaient-elles des aspects différents d’une même âme. À travers la nouvelle Maria, la première Maria avait revécu pour rendre de la joie à son cœur.
Parfois les deux Maria se ressemblaient beaucoup, mais d’autres fois elles ne se ressemblaient plus du tout. Il y avait même des moments, quoique rares, où Haraldr considérait Elisevett comme le premier et le plus grand amour de sa vie. Dans le monde tel qu’il existait, et non tel qu’il avait semblé être tant d’années plus tôt sur les rives du Bosphore, qu’est-ce qu’un homme pouvait demander de plus à une femme, hormis sentir de temps en temps qu’il l’aimait plus que tout le reste ? Et Tora, qui lui avait donné des fils et de l’amour, comment pourrait-il lui refuser une part de son cœur ? Peut-être étaient-elles toutes des aspects de la même âme, du grand amour que seule la jeunesse peut connaître, de même que les rêves brisés d’un vieil homme sont tous des fragments de l’unique objectif pur et ardent qu’il avait imaginé dans sa jeunesse. Le rêve semblait pur et entier aujourd’hui comme autrefois, mais il allait l’abandonner aux jeunes hommes qui pourraient vraiment croire en lui. Cependant, l’amour n’était pas comme le rêve. Le rêve s’était estompé, écroulé, et se trouvait maintenant restauré. Mais l’amour n’avait jamais diminué. Simplement, il
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