Byzance
remplacé par une frayeur de plomb.
— Ce gamin doit être le prince, dit le Chien.
Il se tourna vers l’armée silencieuse derrière lui, et plusieurs hommes acquiescèrent.
— Je le tuerai aussi.
La masse d’Olaf jaillit du cordon de ses karls. Une main saisit Haraldr et le tira en arrière ; il tomba assis, mais pendant sa chute entrevit l’épée de son frère qui plongeait dans l’armure de fourrure du Chien. Des hommes lui marchèrent dessus, et l’instant suivant il entendit le choc des deux armées, le grincement du métal sur le métal et les jurons désespérés des hommes condamnés. Ensuite, il vit de nouveau Olaf et Thorir le Chien. Ils semblaient se déplacer au ralenti, comme dans un cauchemar. La lame d’Olaf, tachée de sang, frappa plusieurs grands coups mais le Chien ne tombait toujours pas. Puis un troisième homme entra dans le rêve, un des colosses qui s’étaient avancés avec le Chien. Il se baissa et son épée faucha, parallèle au sol. Tout s’accéléra soudain, la lame frappa la puissante jambe d’Olaf et rebondit en arrière. Le genou d’Olaf parut se désintégrer. Déjà, il tombait. Un autre homme surgit soudain dans le cauchemar de Haraldr : son épieu s’enfonça sous la byrnnie d’Olaf et le fit basculer. La main d’Olaf se crispa, mais sans rien saisir, puis ses entrailles gluantes se mirent à glisser sur ses cuisses. Une épée le frappa au cou, sa tête culbuta sur le côté et du sang jaillit sur son épaule.
Haraldr sentit un coup dans ses reins, et quelque chose vola devant ses yeux comme un oiseau furieux. « Va te battre ! » hurla une voix, si forte qu’elle ne pouvait venir que de l’intérieur de son crâne. Mais une peur glacée paralysait ses membres et une terrible vérité rivalisait à présent avec l’autre voix. « Je suis un lâche ! » disait-elle. Puis sa peur jaillit de lui et il souilla sa culotte d’une tiédeur repoussante. Une botte frappa sa poitrine avec une force étonnante, son cœur meurtri ne songeait plus qu’à implorer la mort.
Le Chien était au-dessus de lui. Les énormes narines, l’horrible groin. L’épée se leva et disparut dans une nuit teintée de sang ; ce n’était pas une épée mais un animal, un bec de corbeau qui descendait, tombait d’une nuit dans une autre nuit. Puis il se produisit un choc terrible, comme si le soleil avait explosé dans sa fureur de mourir, et Haraldr tomba, loin de sa chaleur et de sa lumière, tomba sans fin dans la vaste gueule noire, étouffante, du dernier dragon.
* *
*
L’homme du Danemark prit la mâchoire et tourna vers lui le visage bouffi du cadavre ; la tête ballotta comme si elle n’était plus attachée au cou. Il écarta les mouches d’un geste et ouvrit les paupières livides pendant un instant. Les yeux bleus brillèrent d’une rage de fantôme. Il se redressa et se tourna vers le Chien.
— C’est bien le roi Olaf. Maintenant, montre-moi le prince, Haraldr Sigurdarson.
La poitrine du Chien se gonfla et de l’air siffla par ses narines béantes.
— Je l’ai frappé sur son casque. Le sang a couvert son visage. Puis deux hommes m’ont attaqué. Quand j’en ai eu terminé avec eux, j’ai vu le gamin encore étalé par terre. Je ne vois pas comment il aurait pu s’enfuir.
— Plusieurs hommes se sont enfuis, non ?
— Deux ou trois. Pas plus. Des lâches.
— Ou des karls déterminés à sauver leur prince.
L’homme du Danemark prit une grosse bourse de cuir dans sa luxueuse cape de laine de Frise. Il en sortit quatre besants d’or.
— Mon roi a promis de te payer la prime pour le roi de Norvège et son héritier. Voici un versement partiel, la besogne n’est pas terminée… Mais songe à quel point ta mission est devenue plus facile, ajouta-t-il en soupesant la bourse. Hier encore, tu devais tuer un roi et un prince pour mériter ceci. À présent, tu n’as plus à abattre qu’un gamin fugitif.
Le Chien regarda les pièces d’or dans sa paume ouverte et les toucha doucement de ses doigts égratignés et tachés de sang – presque comme s’il s’agissait d’animaux délicats d’une espèce inconnue de lui jusque-là.
— Haraldr Sigurdarson, dit-il calmement.
Puis il referma son énorme poing.
Île de Prote,
mer de Marmara,
Septembre 1030.
— « L’étude n’est que feuillage comparée aux fruits d’une vie sainte, et l’arbre qui porte seulement des feuilles doit être abattu et brûlé. Mais le
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