Byzance

meilleur résultat, c’est quand le fruit se trouve au milieu des feuilles. »
    Le père Katalakon se permit la vanité d’un léger sourire à la fin de son homélie impromptue. C’était un homme de grande taille ; sa barbe et ses cheveux, longs et peignés avec soin, avaient la couleur du brouillard gris de la mer – mais la journée était heureusement belle. Oui, tous les fruits dont le Pantocrator avait comblé ses saints frères de l’île de Prote se trouvaient éclairés ce jour-là par le brillant luminaire de la glorieuse voûte de Notre-Seigneur. Le soleil de septembre faisait briller le sol de marbre veiné de rose venu de la Proconèse, et dorait le motif de feuilles d’acanthe entourant le plafond à caissons de la bibliothèque. Le père Katalakon se tourna vers l’homme à côté de lui.
    — Bien entendu, vous connaissez trop bien les paroles de Théodore le Studite pour que j’aie besoin de vous les rappeler, frère Siméon.
    — La répétition n’a jamais défiguré la sagesse, père abbé, et la sainteté se nourrit de nos efforts pour l’atteindre.
    Frère Siméon, le nouveau chartophylax , ou archiviste, du monastère de Prote, était ravi de voir le père abbé louvoyer vers leur objectif. Après tout, on ne l’aurait pas fait venir à Prote s’il n’était pas parvenu depuis longtemps à l’état d’apathia, dans lequel les impétueux désirs du monde sont bridés. Il parcourut d’un regard admiratif les revêtements de marbre et les inscriptions dorées de la bibliothèque, qui attestaient la fortune matérielle de Prote, tandis que les étagères garnies d’ouvrages écrits – certains reliés en chèvre, beaucoup en ivoire gravé ou en cloisonné et décorés de pierres précieuses – révélaient une richesse spirituelle. À travers les panneaux de verre transparent des croisées, frère Siméon aperçut les rochers baignés de soleil qui descendaient vers le bleu profond de la mer de Marmara. « Rien de ce que l’on m’avait dit de Prote n’était exagéré », songea-t-il. L’île avait à peine assez de terre arable pour un jardin de simples, mais les splendeurs du monastère rivalisaient avec celles des autres établissements de Bithynie et de Chio… Sans doute le Christ Pantocrator révélerait-il bientôt l’identité du bienfaiteur de Prote. Tout se déroule selon ses plans immuables.
    Le père Katalakon essaya de jauger son nouvel archiviste. Frère Siméon portait lui aussi la longue robe de laine noire et la haute coiffure ronde commune à tous les ordres monastiques de l’Unique Vraie Foi œcuménique, orthodoxe et catholique. Il n’avait montré aucune impatience pendant la visite du monastère qu’ils venaient de faire en bavardant, ni aucune curiosité quant à l’origine de tant de magnificence. Bien entendu, la marche avait fatigué frère Siméon, déjà âgé, ses épaules s’étaient voûtées et ses lèvres avaient paru violettes sur sa barbe de neige. Il fallait espérer cependant que le nouveau chartophylax vivrait assez longtemps pour terminer ses recherches dans les archives de Prote ; très certainement, il ne vivrait pas suffisamment pour aller parler de ses travaux ailleurs, même si ses passions pour le monde se trouvaient ravivées par ce qu’il risquait de découvrir dans les volumineux dossiers du père abbé Giorgios.
    Le moment était venu :
    — On pourrait rester en contemplation de ces beautés jusqu’à ce que retentisse la trompette du Jugement Dernier, dit le père Katalakon en tendant aimablement la main à frère Siméon. Mais je suis sûr que vous êtes curieux de voir les documents au sujet desquels je vous ai écrit.
    La porte sculptée glissa sans bruit pour révéler un cabinet éclairé par un candélabre et une seule fenêtre donnant sur une cour fermée, privée. Frère Siméon resta bouche bée de surprise. Le sol, pavé de marbre de Thessalie couleur de mousse, était presque entièrement recouvert par des dizaines de tas de parchemins non reliés ; certains tas, retenus par des cordons de soie, s’élevaient presque jusqu’à la hauteur du menton du père Katalakon. Entouré par ces milliers de milliers de documents se trouvait un merveilleux petit meuble de lecture avec un dessus d’ivoire niellé et des ferrures d’or sur les tiroirs de bois peint.
    — Oui, vous voyez que je n’exagérais en rien dans ma lettre, en présentant l’abbé Giorgios – que le Christ Pantocrator