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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Les dommages infligés à la ville ne vaudront
pas non plus à Desfosseux la Légion d’honneur : quelques maisons
détruites, quinze ou vingt morts et une centaine de blessés. La sécheresse du
maréchal Soult et de son état-major quand le capitaine a été convoqué pour le
bilan final des opérations laisse peu de doutes à cet égard. Assurément, il n’y
aura plus jamais personne pour lui offrir un avancement.
    La Cabezuela est un chaos. Toutes les retraites le sont. On
voit çà et là du matériel brisé et jeté à terre, des prolonges et des affûts du
train des équipages amoncelés en bûchers où l’on brûle tout ce qui pourrait
servir à l’ennemi. Des sapeurs munis de pics, de pelles et de haches
démolissent tout, et un peloton d’artificiers, sous le commandement d’un
officier du génie, disposent des traînées de poudre et de goudron pour
incendier les baraques, ou des charges et des mèches pour les faire sauter. Le reste
des fantassins, artilleurs et marins, avec l’indiscipline qui prévaut dans de
telles circonstances, va de tous côtés : pressés et insolents, ils volent
tout ce qu’ils peuvent, chargeant sur des chariots leurs équipements et ce
qu’ils ont pillé au cours des dernières heures dans les villages et les hameaux
avoisinants, sans que l’on accorde trop d’attention aux rôdeurs qui violent,
volent et tuent. Les volumineux bagages des généraux, avec leurs précieuses
Espagnoles installées dans des carrioles réquisitionnées à Chiclana et El
Puerto, sont partis depuis longtemps pour Séville, avec une forte escorte de
dragons ; et la route de Jerez est encombrée de voitures, de chevaux et de
soldats mêlés à des civils : familles d’officiers français, Espagnols
ayant prêté serment au roi Joseph et collaborateurs de tout poil terrifiés à
l’idée d’être abandonnés à la vengeance de leurs compatriotes. Personne ne veut
être le dernier, ni tomber aux mains des guérilleros qui se concentrent déjà et
rôdent comme des bêtes nuisibles et cruelles, de plus en plus audacieux,
flairant le pillage et le sang. Pas plus tard qu’hier, vingt-huit blessés et
malades français, laissés sans escorte entre Conil et Vejer, ont été capturés
par les gens du pays, roulés dans des bottes de paille arrosées d’huile et
brûlés vifs.
    Arrivé au pied de l’échelle, le capitaine observe que quatre
sapeurs posent des charges inflammables autour des piliers de la tour
d’observation. Il fait très chaud et ils transpirent abondamment sous leurs
vestes bleues à revers noirs pendant qu’ils répandent des traînées de goudron
et de poudre. Un peu plus loin, un officier du génie, un gros lieutenant qui
s’éponge le front et le cou avec un mouchoir sale, regarde travailler ses
hommes.
    — Il reste quelqu’un là-haut ? demande-t-il à
Desfosseux quand celui-ci passe près de lui.
    — Personne, répond l’artilleur. La tour est à vous.
    L’autre fait un geste affirmatif, indifférent. Il a des yeux
aqueux et inexpressifs. Il n’a même pas salué en voyant le grade de Desfosseux.
Puis il crie un ordre. Tandis que le capitaine s’éloigne sans regarder derrière
lui, il entend le souffle de la poudre qui prend feu ; et, tout de suite,
le crépitement des flammes qui montent le long des piliers et de l’échelle.
Arrivé à la redoute des obusiers, il voit Maurizio Bertoldi qui contemple la
tour.
    — Ce sont deux années de notre vie qui s’en vont,
commente le Piémontais.
    Alors, seulement, le capitaine se retourne pour jeter un
coup d’œil. Le poste d’observation transformé en torche brûle dans une fumée
noire qui monte droit dans le ciel. Ceux de l’autre rive, pense-t-il, auront un
beau spectacle cette nuit. Feux d’artifice et illumination d’un bout à l’autre
de la baie : une vraie fête d’adieux, avec la poudre de l’empereur.
    — Comment vont les choses, ici ? s’enquiert-il.
    Le lieutenant a un geste évasif. Il semblerait que les
expressions aller bien ou aller mal ne soient guère adaptées à
tout cela.
    — Les vingt-cinq canons de 4 que nous abandonnons sont
déjà encloués. Labiche jettera à la mer tout ce qu’il pourra… Le reste est
brûlé ou réduit en miettes.
    — Et mes bagages ?
    — Faits et chargés, comme les miens. Ils sont partis
voilà un moment. Sous escorte.
    — Bien. De toute manière, vous et moi ne perdrions pas
grand-chose.
    Les deux officiers se regardent. Double

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