Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
Vom Netzwerk:
échappé, de toute manière. Avec ou sans moi.
    Le sbire lève une main, maladroit comme toujours. Un
instant, Tizón croit qu’il va la poser sur son épaule. S’il le fait, je lui
ouvre le crâne d’un coup de canne, pense-t-il.
    — Ne dites pas ça, monsieur le commissaire. – En
voyant l’expression de son chef, il arrête son geste à mi-chemin.
    — On va bien trouver un moyen. Dans l’état où il est,
avec une balle de pistolet dans le corps, il ne peut pas être loin… Il faudra
bien qu’il aille se soigner quelque part. Ou se cacher.
    Je n’ai même plus la force de jurer, conclut Tizón. Je suis
trop fatigué. Trop écœuré de tout ça.
    — Quelque part, dis-tu.
    — Mais oui.
    Au bas de la rue, jouxtant le porche de l’église du Rosaire,
se trouve l’oratoire de la Sainte Crypte. Sous le fronton triangulaire de
l’entrée, la porte est ouverte.
    — Avez-vous également vérifié ici ?
    Nouvelle expression choquée. Encore une fois, en douter est
insultant, dit-elle sans le dire.
    — Naturellement.
    Rogelio Tizón franchit un instant le seuil, jette un regard
distrait et se dispose à poursuivre sa route. Soudain, au moment de ressortir,
quelque chose attire son attention et le fait regarder de nouveau. Il s’agit
d’un objet situé à la naissance du double escalier qui descend dans la crypte,
sur le côté gauche. Le commissaire le connaît comme n’importe quel Gaditan, car
il fait partie du décor habituel du lieu. Il est là depuis toujours, ou
presque. Pourtant, les circonstances font qu’il le voit maintenant sous une
perspective différente. Stupéfiante.
    — Qu’y a-t-il, monsieur le commissaire ?
    Rogelio Tizón ne répond pas. Il continue de regarder, cloué
sur place par la surprise, la vitrine située à côté de l’escalier de gauche sur
un sol de dalles blanches et noires identique à un échiquier. À l’intérieur, il
y a un Ecce Homo : un Christ tel qu’on en trouve dans les églises de la
ville comme dans celles d’Andalousie et de toute l’Espagne, représenté en
pleine Passion. Entre Hérode et Pilate. Dans son genre, celui de la Sainte
Crypte est particulièrement expressif : attaché à la colonne du supplice,
il a la chair déchiquetée, couverte d’innombrables plaies rouges, sillonnée par
les sanglantes déchirures que lui ont infligées les fouets de ses bourreaux.
Dans son exagération, l’image donne une impression d’agonie, de vulnérabilité
et de souffrance indicible. Et voici que soudain, comme si une main inconnue
arrachait un voile qui brouillait son esprit, le commissaire se rend compte de
ce que cela signifie. De ce que cela représente. Fondée trente ans plus tôt par
un prêtre d’origine noble, aujourd’hui défunt – le père Santamaría,
marquis de Valdeíñigo –, la Sainte Crypte est un oratoire souterrain
privé, qui s’ouvre à la manière d’une cave sous une petite église de forme
elliptique. La partie en sous-sol est consacrée aux pratiques ascétiques d’une
confrérie religieuse connue dans la ville : des gens fortunés et de bonne
position sociale, très scrupuleux dans la stricte observance de la doctrine
catholique. Trois fois par semaine, ses membres se réunissent pour adorer les
sacrements et se livrer aux dévotions traditionnelles avec une rigueur extrême.
Ce qui inclut la pénitence à coups de fouet. La flagellation pour mortifier la
chair. Pour la dompter.
    — Et la crypte ? demande-t-il.
    Un silence déconcerté. Trois secondes exactement. Tizón ne
regarde pas son adjoint, mais le sol en forme d’échiquier aux pieds du Christ.
    — La crypte ?
    — Pas besoin de répéter. Il y a une chapelle en haut et
une crypte en bas. C’est pour ça qu’on l’appelle ainsi… Tu comprends ?…
Sainte pour le haut, et Crypte pour le bas. Il te faut un dessin ?
    Le sbire passe d’un pied sur l’autre. Confus.
    — J’ai cru…
    — Allons. Vas-y. Dis-moi ce que tu as cru,
foutredieu !
    — Les portes qui mènent en bas sont toujours fermées.
D’après le sacristain, seuls les vingt et quelques frères en détiennent la clef.
Même lui ne l’a pas.
    — Et alors ?…
    — Alors voilà… – Cadalso hausse les épaules,
évasif. – Ça veut dire que personne n’a pu y entrer cette nuit. Sans avoir
la clef.
    — À part un membre de la confrérie.
    Nouveau silence. Cette fois plus long et plus embarrassé. Le
sbire regarde de tous côtés, sauf de celui des yeux de

Weitere Kostenlose Bücher