Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
Guéna ouvre les assises vers 9 h 30. Après lui, Michel Debré, ovationné. Si les militants qui sont là savaient ses réticences à l’égard de Chirac et du nouveau rassemblement qu’il s’apprête à créer ! Applaudi lorsqu’il parle des « hésitations du pouvoir », de la grandeur de la France. Lorsqu’il appelle les militants à « gagner les hauteurs ». Ovations sur « la France de Bouvines, de Valmy et de la Marne ». Ovations encore lorsqu’il refuse l’Europe – et lorsqu’il enferme Chirac dans son refus.
Olivier Guichard, sifflé, ne dit pas un mot sur Raymond Barre et finit par se rallier sans conviction.
Chirac parle enfin, musclé : il dénonce la prétendue alternative que propose le programme socialo-communiste, inefficace et illusoire. Il tente d’entonner une ode au libéralisme (a-t-il déjà oublié le « travaillisme à la française » ?) et finit en entraînant la foule par quelques phrases enlevées à l’intention de ces militants attachés au gaullisme et à la grandeur de la France : « L’appel que je lance à mon tour n’est que l’écho de l’éternel appel des nations qui ne veulent pas mourir. C’est au peuple de France que je m’adresse ! »
Effet garanti.
Qu’il est gauche, pourtant, avec ses bras levés, ses mains immenses ! Son discours est bon, mais, parmi les journalistes, les « chiraquiens » me disent que ça n’est pas le meilleur qu’il ait prononcé. Je le trouve pour ma part un peu trop catégoriel, mais de bonne tenue.
L’après-midi, pour l’allocution de Chirac, Michel Debré n’est pas venu, écœuré par tout ce déballage. Au premier rang, Robert-André Vivien fait la claque et pousse vigoureusement du coude ses voisins lorsque les propos de Chirac lui paraissent formidables.
À la fois cirque et fête : rien, là-dedans, qui change fondamentalement des grands rassemblements gaullistes de Nice, Nantes ou Lille. Rien qui me paraisse bien nouveau. Sauf, peut-être, l’euphorie qui manquait singulièrement à Nantes et que les gaullistes semblent avoir miraculeusement retrouvée.
13 décembre
Une heure et demie avec Giscard d’Estaing, aujourd’hui.
Pas le moindre doute : il veut gagner les élections dès 1978. Pourtant, son analyse est radicalement différente de celle de Chirac :
« L’analyse pompidolienne est dépassée, dit-il. En 1973, il s’agissait de penser que la réforme était déconcertante pour l’électorat de Georges Pompidou et que cela ne faisait pas gagner une seule voix. Il fallait accompagner le changement et non pas le précéder. C’est là une analyse dépassée.
– Qu’est-ce qui a changé ? lui demande-t-on.
– Les jeunes, répond-il évasivement. La société tout entière. Un tel raisonnement ne pourra pas marcher dans la France de 1978. Il faut gagner. Car le programme commun est une catastrophe pour la France. Mais une autre catastrophe serait de laisser les socialistes en dehors du pouvoir vingt ans de plus. »
Il reparle de la loi sur les plus-values : « Au printemps dernier, le régime des partis a repris le dessus. Il a donc fallu que moi, incarnant l’État, je prenne mes distances et que j’échappe aux factions. »
Ainsi s’expliquent l’énergie personnelle qu’il a investie dans cette loi, et son refus de la retirer ou de la différer comme beaucoup de ses proches le lui demandaient.
Les communistes : il ne croit pas profondément à leur changement. Il donne l’impression de ne pas bien comprendre leur vraie problématique, leur volonté d’arriver au pouvoir, même s’il a trouvé Marchais excellent, l’autre jour, à la télévision.
Il crève d’envie de réintroduire la représentation proportionnelle aux législatives, car le scrutin majoritaire avantage terriblement, dit-il, le bloc de l’union de la gauche. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait plustôt ? Parce qu’en 1974, répond-il, l’adoption de la représentation proportionnelle aurait été un signal adressé à l’UDR : la volonté de les mettre à la porte, ce qui n’était pas souhaitable.
Il aurait bien envie de le faire avant les élections de 1978. Il veut le faire, mais ne sait pas comment s’y prendre.
Sur l’Europe : « J’irai jusqu’au bout, dit-il. Si le Conseil constitutionnel décide qu’il faut changer la Constitution sur ce point, on la changera en passant par le Parlement ou par référendum, s’il le faut ! »
En matière de défense,
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