Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
de « rétablir la vérité ». Elle s'en serait plainte dans ces termes à Chirac après l'accident de celui-ci.
Je n'ai aucun moyen de vérifier ses dires, mais je ne vois pas pourquoi Balladur me raconterait des histoires.
Alain Devaquet, avec lequel je déjeune aujourd'hui, me confirme qu'effectivement Chirac a demandé à ses proches de ne pas revoir Juillet et Marie-France ni même de leur téléphoner.
Pendant ce temps se déroule à l'Assemblée nationale, aujourd'hui, un débat d'une confusion inouïe. L'évidence est que le RPR a choisi son terrain, celui d'une nouvelle politique économique, qu'il s'oppose à l'UDF pour réclamer deux milliards d'économies, que ses députés joignent leurs voix à une proposition des socialistes et des communistes pour refuser l'article 25 48 . Et cela au moment où Raymond Barre lui-même et ses prévisions économiques montrent leur faiblesse, cependant que Giscard, lui, recherche ses diamants : affaiblissement aussi de la Présidence sur ce terrain boueux...
Toujours directeur de cabinet de Barre, Philippe Mestre me dit d'un air assuré : « Nous pratiquons la stratégie de l'édredon ! »
Certes ! Mais difficile de s'en prévaloir...
Entre le RPR qui fonce tête baissée vers la question de confiance, ou plutôt vers le dépôt d'une motion de censure qu'il finira bien à un moment quelconque par être obligé de voter, le gouvernement qui « s'édredonne », l'opposition qui s'époumone et la Présidence qui patine dans les diamants, la France fout le camp, comme dirait Michel Debré !
24 octobre
Pierre Hunt me parle de l'hospitalisation de Raymond Barre. Il l'attribue – Giscard aussi – à un excès de travail, aggravé par le fait que le Premier ministre a durement ressenti les attaques dirigées contre lui.
Le Président lui a rendu visite vendredi.
Nous parlons des divergences au sein de la majorité. Malgré tout, Giscard, me dit-il, continue à penser que s'il y avait des élections aujourd'hui, la gauche ne passerait toujours pas. Toutes les élections locales vont dans ce sens. Son voyage dans le Sud-Ouest s'est très bien passé. Tant et si bien que le Président reste assez serein.
VGE pense aussi que Raymond Barre, après sa maladie, va bénéficier d'un petit courant de sympathie dans l'opinion publique. Il aura ce qu'il appelle un « deuxième souffle psychologique ».
De toute façon, il n'y aura pas d'élections anticipées, Hunt m'en donne l'assurance qu'il tient de la bouche même de Giscard.
25 octobre
Charles Pasqua, corse comme son nom l'indique, me parle de son île. Il est désolé de sa marginalisation, de son appauvrissement aussi. « Il faudrait se battre, me dit-il, changer de sous-préfets, diviser la Corse en plusieurs régions, attaquer les autonomistes... [Mais] les Corses, précise-t-il, ne sont pas des délateurs. Il ne faut pas compter sur eux pour dénoncer les autonomistes, même s'ils désapprouvent leur action. »
Paul Granet me raconte le déjeuner qui a eu lieu hier chez Yvon Bourges : autour de la table, cinq personnalités RPR et cinq UDF, dont lui. Le repas a failli tourner à l'échauffourée, Didier Julia 49 ayant d'entrée de jeu demandé à Bourges : « Dites-moi, parlez-nous un peu des diamants du Président, et des vôtres, tant qu'on y est 50 ! »
Plus drôlement, Maurice Druon a fait des astuces sur l'Assemblée européenne : « Laissez-là à Strasbourg, a-t-il dit, puisqu'elle pédale dans la choucroute ! »
L'atmosphère était à couper au couteau. À la fin, Michel Aurillac 51 , qui était là, a dit à Paul : « C'est comme cela, on est entré dans une fantastique période de règlement de comptes, et n'importe quoi peut arriver ! »
Tout le monde a peur de la place que prend dans la vie politique la polémique sur les diamants de Bokassa. Que l'ancien chef de la République centrafricaine ait voulu se venger d'avoir été « lâché » par Giscard, cela ne fait aucun doute ; que la valeur des diamants n'excède pas 100 000 francs, et non pas un million, comme l'a dit Le Canard, c'est aujourd'hui certain. Mais pourquoi Giscard ne dit-il rien ? Ils ont beau être de mauvaise qualité, tout de même, où sont-ils, ces diamants ? Giscard en a-t-il, comme on dit, fait don à Marie-Laure de Decker, laquelle ne voudrait pas les rendre ? Doit-il parler ? Il me semble que oui. Mais, quinze jours après le début de l'affaire, c'est toujours le silence
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