Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
d'ailleurs voulu le faire, qu'il n'aurait pas pu, ou que les démêlés judiciaires de Boulin auraient été plus vite encore étalés sur la place publique.
6 novembre
Rencontré Chaban dans son bureau de l'hôtel de Lassay. Beaucoup de choses se sont passées depuis la semaine dernière. À l'enterrement de Boulin, à Villandraut, samedi, de quoi ne fallait-il pas dire un mot ? Des propos que Robert Boulin aurait confiés au secrétaire d'État aux Anciens Combattants, Maurice Plantier, le 24 octobre dernier : « Je sais ce matin par une preuve écrite que tout cela vient de l'entourage de Chirac 54 . »
Barouf inouï lorsque Jacques Chirac a appris qu'il était le premier à être accusé par Boulin ! Chaban me raconte qu'il l'a appelé, à la fin du week-end, à Ascain, sa résidence secondaire, pour lui dire, furieux : « J'apprends que toutes ces attaques viennent de vous. Je crois ce qu'on m'en dit : de toute façon, on ne prête qu'aux riches !
– Attention à ce que vous dites ! » a violemment répondu Chaban.
En exultant presque, pas fâché en tout cas, Chaban fait à mon usage ce commentaire : « Chirac s'est écrasé. »
Il reprend plus sérieusement : « Il y a au moins une source qui va dans le sens des accusations portées par Boulin : c'est Maurice Plantier... Et je ne parle pas d'autres sources moins sérieuses, poursuit Chaban. Par exemple, quelqu'un est venu me dire que Charles Pasqua s'était répandu partout en disant, hilare : Boulin, on le tient, Peyrefitte aussi, et après ce sera Chaban ! Je n'en dis rien, parce que je n'en suis pas sûr. D'autres, comme Jean de Lipkowski, sont venus me voir en me disant que les accusations portées par Boulin visaient Raymond Barre et Philippe Mestre. Je ne m'y suis pas attardé. Peut-être Boulin leur demandait-il d'intervenir dans son dossier, ce qu'ils n'ont sans doute pas voulu faire. »
Je demande : « Et Peyrefitte ? »
Peyrefitte n'est pas, je le sais, un de ses amis, mais Chaban ne s'engage pas sur ce terrain. « Sur le plan judiciaire, dit-il au contraire, il ne pouvait pas faire grand-chose. » Il ajoute aussitôt : « Cela dit, il y a des aspects humains dans cette affaire, et Peyrefitte n'a pas été très humain avec ce pauvre Boulin. »
Que savait-il, lui, Chaban, des difficultés de Boulin dont il était l'ami ?
« Pas grand-chose, convient-il. J'étais dernièrement aux côtés de Colette Boulin au repas officiel avec le Premier ministre chinois, Hua Guo-feng : c'est elle qui a mis la discussion sur ce terrain, elle m'a dit que son mari était très emmerdé par toutes ces affaires autour de Tournet. Le lendemain, Boulin recevait à son ministère le groupe parlementaire RPR. Par solidarité, j'ai décidé d'accompagner les députés chez lui. Je lui ai téléphoné le matin. “De quoi parlera-t-on à ce déjeuner ? ai-je demandé. – Tout ira très bien, on parlera du budget”, m'a-t-il répondu. J'ai insisté : “Voulez-vous que je vienne plus tôt ?” Il m'a dit que ce n'était pas utile. Je n'ai pas insisté. »
J'interroge alors Chaban sur les révélations de Philippe Alexandre : du 15 au 20 décembre, y a-t-il eu ou non une volonté exprimée par certains dirigeants du RPR de révéler à la presse le dossier Boulin ? « Ça me paraît bizarre », dit Chaban avec une moue.
En revenant de chez Chaban, j'ai croisé Robert Poujade : « Quelle atmosphère, plaisante-t-il, personne ne se dit plus rien depuis dix jours, sauf de très vieux amis ayant entre eux une inépuisable réserve de confiance ! »
Je ne suis pas sûre que, disant cela, il n'aggrave pas la lourdeur du climat qu'il dénonce. Mais enfin, c'est du Poujade : aigu, caustique, normalien, quoi !
Il ajoute sur Giscard : « Il est comme un homme qui a le gros orteil qui saigne. Sa tête reste bonne... jusqu'au moment où sa tête finit par ne plus marcher ! »
Plus sérieusement, il pense qu'après l'affaire Boulin, Giscard est contraint de garder Raymond Barre, car, selon lui, Boulin tué et Peyrefitte blessé par la lettre posthume, « il n'y a plus de Premier ministre RPR possible ».
Je ne suis pas sûre que cela lui fasse de la peine...
7 novembre au matin
Philippe Mestre, à Matignon, en veut beaucoup, dans le débat budgétaire en cours, à Claude Labbé et au groupe parlementaire gaulliste. À l'entendre, dans un premier temps, le groupe RPR aurait été d'accord avec le projet de
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